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momens étaient ceux qu’il passait dans une espèce de ferme, à côté de Walmer ; il y avait fait placer trois chaises et une table dans une chambre aérée, et passait le temps à écrire et à respirer. Enfin il succomba. »

En effet, il mourut le 23 janvier 1806, tué par la bataille d’Austerlitz, laissant quarante mille livres sterling de dettes et sans avoir vu se réaliser aucun des vastes plans qu’il avait conçus. L’étrange créature qui avait eu tous ses secrets comprit qu’elle n’avait plus rien à espérer en fait de pouvoir occulte ou avoué, d’intrigues à débrouiller ou à pénétrer, d’anxiétés politiques à partager, de sarcasmes à jeter sur les héros de ce drame dont elle avait sondé le fond, fait mouvoir les coulisses, barbouillé les décorations et déshabillé les acteurs. On ne lui accorda que 1,200 livres sterling de rente, et la société anglaise ne lui fit pas attendre sa vengeance. Elle se retira quelque temps à Builth, dans une chaumière du pays de Galles ; puis, profondément dégoûtée et blessée, elle partit pour l’Orient en 1810. Jeune et impétueuse, elle avait vécu d’une vie trop forte pour sa raison. La mort de ce grand politique qui s’était immolé à ses desseins, et que personne ne pleurait, avait frappé une ardente imagination de l’ébranlement le plus terrible. Elle n’était ni assez riche ni assez indépendante pour faire tête aux inimitiés qu’elle avait soulevées. Sa haine de l’Europe, et surtout de l’Angleterre, était devenue comme chez Byron une rage, une frénésie, une maladie incurable. Elle aimait le réel, ainsi que tous les grands esprits, et la société anglaise marchait dans sa voie de pruderie hypocrite ; elle était rassasiée jusqu’au dégoût de civilisation, de fêtes et d’affectations élégantes. Bientôt le mysticisme, les rêves d’un avenir confus, le besoin de faire encore parler d’elle, la soif d’un pouvoir que sa patrie ne pouvait plus lui donner, firent bouillonner dans son cerveau une fièvre mêlée de misanthropie et d’aspirations à la grandeur qui ne cessèrent plus de la dévorer jusqu’au moment de sa mort. L’étude et la poésie l’auraient calmée et consolée ; elle méprisait les livres, n’aimait que l’action, et l’action lui manquait. Elle était orgueilleuse « comme Satan ; » elle se sentait humiliée. Canning allait hériter de Pitt après Castlereagh, et l’ingratitude de la nation la révoltait. Après avoir erré quelque temps en Grèce et en. Égypte, elle finit par planter sa tente au milieu de la Syrie, entre les Druzes prêts à s’insurger, les Turcs impitoyables et les Arabes sauvages. C’était bien l’écheveau politique le plus embrouillé et le plus sanglant que la situation anarchique de cette contrée, et peut-être cette difficulté même lui offrait-elle un attrait de plus.

Nous rappellerons en peu de mots ce qui se passait en Orient lorsque lady Stanhope choisit le mont Liban pour asile. La faiblesse de l’empire