Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/922

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ottoman et cette décadence progressive qu’il avait subie depuis le commencement du XVIIIe siècle encourageaient ses vassaux à la défection ; pendant que les Grecs s’insurgeaient et préludaient à leur indépendance, Méhémet-Ali faisait de l’Égypte son domaine personnel, et le prince des Druzes, chef nominal plutôt que réel des peuplades variées et hostiles qui habitent le Liban, essayait de vaincre par la cruauté et les artifices les obstacles opposés à son pouvoir par le peu d’homogénéité des élémens qui lui étaient soumis, et tendait à devenir le maître de toute la Syrie. Pendant les vingt années que lady Stanhope passa dans ce pays, les luttes de l’émir Béchir contre la Porte, les Druzes, les Arabes, les Turcs, et contre ses propres lieutenans, celles des diverses populations entre elles, du pacha d’Acre contre Ibrahim-Pacha, fils de Méhémet, enveloppèrent la solitude de lady Stanhope, située non loin de Beyrouth, d’un réseau d’intrigues, de guerre et d’assassinats effroyables, dans lesquels l’Europe elle-même, souvent trompée, a été forcée de s’engager.

C’était un monstre et un homme habile que cet émir dont on a fait tant de bruit en Europe, et sur lequel les mémoires du docteur donnent des renseignemens précis. Forcé de fuir à diverses reprises la vengeance des pachas d’Acre et de se soustraire aux firmans de la Porte, ce fut lui qui devina de quelle utilité lui pourrait être l’alliance de Méhémet-Ali, et qui, de concert avec ce dernier, essaya de soustraire la Syrie au joug ottoman. Le fils de Méhémet, Ibrahim-Pacha, saisit le moment favorable, pénétra en Syrie, prit Damas, battit l’armée du sultan, se rendit maître de toute la Célo-Syrie, et, sans l’intervention des puissances européennes, il menaçait Constantinople.

De cet accord entre les deux hommes les plus rusés et les plus hardis de l’Orient, ce fut l’émir des Druzes qui retira le plus d’avantages. Il revint dans le mont Liban, où, tout en comprimant par la terreur des races divergentes, il continua de détacher les populations de leur vieille fidélité. Pendant qu’il se donnait pour Druze aux Druzes et pour chrétien aux chrétiens, et qu’il effrayait les Arabes par des exécutions sanglantes, il faisait répandre par ses émissaires que Mahmoud était un Européen qui buvait du vin avec les Grecs, visitait les maisons de débauche, foulait aux pieds le Coran et ne tendait qu’à transformer l’empire turc et à étouffer l’islamisme. Les musulmans de Syrie regardèrent Ibrahim-Pacha comme leur seul espoir et l’apôtre de leur foi.

Ce n’était pas assez : il fallait imposer aux Maronites et aux Druzes, les uns vieille race chrétienne dont les villages couvrent une partie du