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Liban, les autres, montagnards infatigables, maîtres des forteresses bâties par les croisés, et qui, de leurs murailles, formant une ligne irrégulière de remparts et de rochers, pourraient braver et détruire une armée. Tous ces hommes avaient des armes, et s’en servaient avec une habileté consommée, un courage indomptable. Un beau matin, pendant que les laboureurs druzes étaient à la moisson, tous les villages du Liban se trouvèrent occupés par les troupes d’Ibrahim, accourues la nuit à marches forcées. On s’empara même du palais de l’émir, qui simula une vive terreur, une indignation excessive, et se donna pour victime du stratagème combiné par lui. On procéda bientôt au désarmement intégral de la population druze. Quelques-uns réussirent à cacher leurs armes ; d’autres furent suppliciés ; la plupart cédèrent à la force. Poursuivant son dessein avec habileté, le prince, qui voulait s’appuyer sur les chrétiens, déclara que les chrétiens garderaient leurs armes, leur distribua quelques ceintures de soie et quelques cachemires, et passa parmi nous pour le protecteur oriental du catholicisme. Les Grecs de la côte, habitués à ramper devant leurs maîtres musulmans, ne se possédaient pas de joie, et les politiques d’Europe concevaient de grandes espérances. Un jour cependant, lorsque la jalousie excitée par le privilège des chrétiens eut fermenté dans le cœur des Druzes et des Arabes, l’un des neveux d’Ibrahim, Abbas-Pacha, fut chargé par son oncle d’exécuter, toujours avec l’assentiment de l’émir, un de ces stratagèmes dont les pays civilisés n’ont pas le privilège exclusif. « Quel est, demanda-t-il en voyant un chrétien se promener, le poignard à la ceinture, armé d’un cimeterre magnifique et de deux pistolets, quel est cet homme ? Un chrétien ? Dans quel équipage me montrerai-je, moi, si ces gens paraissent devant nous sous un tel costume ? J’y mettrai ordre. » Les chrétiens furent à leur tour désarmés, et la Syrie entière resta sans défense. L’émir Béchir avait réussi. Cependant les Druzes indépendans s’aperçurent qu’ils étaient joués, et s’animèrent d’une juste colère, qui finit par éclater lorsque Ibrahim-Pacha prétendit les soumettre au régime de la conscription. Réunis aux Bédouins du désert voisin, ils attaquèrent l’émir et remportèrent plus d’un succès.

C’est au milieu de cette anarchie de toutes les ruses et de toutes les violences que lady Stanhope était venue chercher asile. Pressée et cernée entre l’hostilité armée d’Ibrahim, l’ambition sans scrupule de l’émir Béchir, l’indépendance enracinée des Druzes, les souvenirs vindicatifs des chrétiens opprimés et le mécontentement des musulmans sincères qui regardaient Mahmoud comme un Européen, la Porte ottomane