chose à ce sujet, dites-le. Ces deux hommes étant mes serviteurs, je leur dois justice à tous deux. Je veux faire justice. Parlez. » Tous répondirent qu’ils n’avaient aucune connaissance de ce fait. Alors elle se retourna vers Messaad, qui, les mains croisées sur la poitrine, attendait la sentence. « Messaad, lui dit-elle, vous imputez à ce jeune homme qui entre dans le monde, et qui n’a que sa réputation pour fortune, des choses abominables. Appelez vos témoins : où sont-ils ? — Je n’en ai pas, répondit-il humblement, mais je l’ai vu. — Votre parole est sans valeur devant le témoignage de tous les gens du village et la bonne renommée du jeune homme ; » puis, prenant le ton sévère d’un juge : « Vos yeux et vos lèvres ont commis le crime, votre œil et vos lèvres en porteront le châtiment. Hamaâdy, qu’on le saisisse et qu’on le tienne ! Et toi, barbier, rase le sourcil gauche et la moustache droite du jeune homme ; » ce qui fut dit fut fait. Quatre années après, lorsque Messaâd fut devenu secrétaire d’un consul à Beyrouth, bien marié d’ailleurs et homme honorable, lady Stanhope, qui se félicitait d’une justice si équitable et si peu nuisible au supplicié, reçut une lettre où Toutounghi s’amusait à lui raconter que l’histoire de la séduction était parfaitement vraie, et que sa moustache et son sourcil se portaient bien.
C’était déjà un grand point d’être connue pour juste, pour puissante, pour inexorable ; pourtant ce n’était que la moitié de l’œuvre. A moins de passer pour magicienne, lady Stanhope ne se crut sûre de rien ; elle y réussit, et si complètement, que tout le monde, même le docteur, y a été trompé. De ce qui précède on déduira aisément ce qui n’a pas été compris jusqu’ici : la persévérance de la reine de Tadmor à s’entourer de prestiges astrologiques, l’observation scrupuleuse des jours néfastes, sa retraite des mercredi, pendant lesquels nul n’osait la troubler, le serpent magique, à tête d’homme, qui devait lui annoncer la venue du nouveau Messie, et la description fantastique de cette caverne aux serpens dont elle épouvanta si souvent son docteur. On concevra sans peine cette vie contraire à toutes les lois reçues, l’habitude de se lever à deux heures, l’observation des étoiles heureuses et malheureuses, et la petite jument dont le dos creusé en forme de selle naturelle était nourrie religieusement dans son écurie, pour servir de monture au Messie qui devait entrer avec elle à Jérusalem.
Le docteur, qui vivait au sein des nuages fantastiques évoqués par elle, ne s’expliquait point cette évocation, étrangement combinée avec l’exaltation et le mysticisme réels de lady Esther Stanhope, et seule base de son existence en Orient. Elle ne se contenta point de