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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/932

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passer pour prophétesse, elle s’entoura d’une armée de prophètes, gens redoutés qu’elle attachait par l’intérêt. Grande sibylle orientale, c’était un beau rôle, et tout le monde l’acceptait. Deux sous-prophètes l’aidèrent principalement dans cette entreprise, un Français et un Arabe. Le premier, vieillard qui, pendant plus de vingt ans, vécut de sa bonté, avait connu Tippo-Saëb et Lally, et se nommait Loustauneau ; le soleil d’Orient et le mouvement des révolutions avaient un peu dérangé sa cervelle. C’était le fils d’un paysan de Tarbes, embarqué comme matelot à vingt-quatre ans, puis qui avait servi dans l’artillerie du rajah Scindia, où il avait dû un rapide avancement à son intrépidité et à son titre d’Européen. Ruiné à son retour en France par la révolution, puis secouru par la famille d’Orléans, il établit une fonderie sur les frontières d’Espagne, vit ses propriétés détruites par la guerre civile, et finit par s’embarquer pour l’Orient, laissant à Tarbes trois fils et deux filles ; sa raison ne put soutenir le choc de tant d’évènemens et de spectacles divers. Il errait en Syrie, de village en village, recevant l’aumône, la Bible à la main, et prophétisant l’avenir, lorsque la reine de Tadmor entendit parler de lui. Elle recueillit le pauvre homme, et l’entretint de ses deniers avec une générosité et une délicatesse infinies, sans le rapprocher d’elle, il est vrai ; elle redoutait la mauvaise impression produite par les humeurs, les caprices et les folies du vieillard. Logé dans le couvent de Mar-Elias, il répétait partout, et avec de grandes citations de la Bible, que la reine de l’Orient était venue, que l’étoile était au zénith, et que le Messie allait reparaître, ce qui convenait merveilleusement à la politique de la reine de Tadmor. Souvent le vieillard, une grande Bible sur les genoux, ses longs cheveux blancs flottant sur les épaules, se montrait assis sur le balcon de l’édifice massif et carré fondé par les Grecs schismatiques. Un jour, presque tout le couvent fut renversé par un tremblement de terre, à l’exception du balcon et de la chaise occupée par le prophète, qui vit une muraille se pencher lentement vers lui, comme si elle eût fait la révérence, et crouler. Ce fut un grand miracle dans le pays, et le prophète, ainsi que lady Esther, n’en furent que plus respectés. Dans une autre aile du même couvent, elle avait placé son second prophète, Metta, le docteur arabe du village qui, à l’arrivée de lady Esther dans le pays, avait été saisi d’une sorte de frénésie prophétique, et lui avait annoncé que le trône de l’Orient lui appartenait. Cette protection accordée à un vieillard idiot et à un Arabe menteur la constituait reine des sorciers, et augmentait la vénération orientale pour sa personne et son nom. Metta prétendit qu’une caverne de l’Abyssinie