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puissans de l’imagination humaine, la superstition et la terreur, les résultats politiques qu’elle obtint paraissent moins étonnans. Jouer le rôle de magicienne et de sultane, habiter la crête d’un roc, et de là faire trembler les paysans et les montagnards, ne lui suffit pas elle se déclara ouvertement en faveur de l’islam, contre l’émir Béchir, contre Méhémet-Ali et la civilisation européenne. Pour allié principal, elle choisit un homme redoutable, qui lui témoignait beaucoup d’estime, cet Abdallah-Pacha, le tyran d’Acre, auquel elle n’épargnait pas les conseils et les réprimandes. Un jour, il venait de rendre un bouyourdie ou édit ordonnant des confiscations et des extorsions nouvelles. « Tu te fais haïr inutilement, lui écrivit-elle, par ces actes d’oppression, et tes secrétaires, qui te flattent, causeront ta perte. » Quand cette lettre arriva, le pacha avait cinq ou six dépêches à lire, qu’il laissait éparses sur le sofa sans les ouvrir ; il lut celle de lady Stanhope, déchira son bouyourdie, et chassa ses secrétaires. Loin de son pays, de sa famille, de ses amis, privée de tout secours étranger, ne pouvant s’appuyer sur aucune des races diverses et ennemies qui habitent ces montagnes, tel était l’ascendant qu’elle avait pris. Méhémet-Ali fut effrayé de la présence et de la capacité de cette femme, et lui écrivit pour la prier de garder au moins la neutralité, ce qu’elle refusa. On peut regarder lady Stanhope comme l’un des principaux mobiles de l’insurrection qui s’alluma dans la montagne. Elle anima les Druzes, leur fournit de l’argent et des armes, et les enflamma contre l’émir et Ibrahim en les pénétrant du sentiment de leur humiliation, douleur insupportable pour ces hommes fiers et sauvages. Ibrahim, comme nous l’avons dit, s’était emparé du Liban sans coup férir, et il lui était échappé après la conquête un mot qui fut rapporté à lady Stanhope : « Quoi ! ces chiens de Druzes n’ont pas eu une balle à nous envoyer ! » Toutes les fois que lady Esther recevait ou rencontrait un montagnard : « Eh bien ! lui disait-elle, chien de Druze, vous n’avez donc pas eu une balle à envoyer à Ibrahim ! » Elle accoutuma ses serviteurs à redire la même formule, et bientôt la montagne tout entière retentit de ces paroles, que lady Esther répétait même aux envoyés et aux amis d’Ibrahim, avant l’air de louer la bravoure et de s’intéresser à la conquête du pacha.

Quand l’insurrection eut éclaté, elle se conduisit de même et ne fut pas moins respectée de l’émir, accoutumé pourtant à tous les crimes qu’il jugeait nécessaires au maintien ou à l’avenir de son pouvoir. Cinq jeunes princes, dont les prétentions à lui succéder lui déplaisaient, avaient eu les yeux crevés. Il faisait couper la langue aux uns, éventrer