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DU ROMAN ACTUEL


ET DE NOS ROMANCIERS.




S’il était absolument vrai, comme l’a dit un illustre écrivain, que les peuples commencent par la poésie et finissent par les romans, nous serions bien loin de la poésie, car nous sommes bien loin de notre berceau, et nous serions bien près de la décadence, car on n’a jamais écrit plus de romans que de nos jours. Heureusement, l’observation dont on a voulu faire un axiome applicable à tous les temps n’est applicable qu’aux sociétés primitives. Qu’à l’origine des choses la poésie se montre la première, fraîche, naïve, souriante, pour chanter l’hymne du matin, et que les romans n’apparaissent que le soir pour raconter les émotions de la journée, d’accord ; mais il en va différemment dans les sociétés modernes. On dirait que la poésie attend la maturité de nos civilisations pour déployer toutes ses forces, et alors, en bonne princesse, elle admet très bien le roman à partager son empire. Un même siècle n’a-t-il pas vu naître le Cid, Athalie, les deux Pigeons, l’École des Femmes et la Princesse de Clèves ? Pour nous citer nous-mêmes, au moment où nous admirions les trésors de lyrisme que semaient à pleines mains Goethe et Byron, Lamartine et Victor Hugo, n’étions-nous pas charmés par les récits de Walter Scott ? Si le Divan, le Lac, les Fantômes, Manfred, sont contemporains d’Ivanhoé, c’est une assez grande preuve, d’abord que la poésie et le roman peuvent régner ensemble, et secondement qu’ils peuvent avoir leur plus belle