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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/944

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heure au milieu d’une civilisation, long-temps après le commencement et avant la fin. Cela prouve aussi que notre époque a été véritablement privilégiée, qu’elle avait reçu le double don si rare de l’observation et de l’enthousiasme, et qu’elle aurait pu tirer un parti immense de cette rencontre fortunée des poètes lyriques et des conteurs.

L’imagination est en effet la faculté dominante de notre époque littéraire. C’est en cela surtout que nous différons du XVIIIe siècle et que nous avons notre originalité propre. Venu pour détruire, le XVIIIe siècle n’eut pas la lyre d’Amphion, c’est tout simple : cette lyre élevait par enchantement les murs des cités, elle ne les démolissait pas. Pour détruire dans le monde des idées, il n’est pas de meilleur instrument que la polémique, laquelle, comme on sait, vit en mauvaise intelligence avec la Muse. Or, sous le règne de Voltaire, la polémique est souveraine ; elle prend toutes les formes, elle est partout, le plus souvent avec sa compagne, la raillerie. Ce siècle est un long éclat de rire mêlé de sarcasmes, et lorsque Beaumarchais se présente sur le déclin, avec le genre de talent qui manquait à l’auteur de l’Écossaise, il vient pour achever le tableau. Sans Figaro, l’éclat de rire n’eût pas été complet, et il eût existé une lacune dans la gloire de cette littérature militante qui occupa avec tant de bruit et d’éclat la scène du monde depuis le jour où en descendit Louis XIV jusqu’au jour où y monta la révolution française. Rien ne manqua à la littérature polémique après Beaumarchais : l’infatigable héroïne avait obtenu tous les triomphes, et son plus grand peut-être fut d’avoir dépensé tant d’esprit, de verve et de passion, que, pendant toute la durée du combat, on ne s’aperçut pas de l’absence de la poésie. Ce ne fut que plus tard qu’on remarqua cette absence, lorsque, l’œuvre étant accomplie et la passion ayant disparu, il ne resta plus que l’élégance, la pureté et la sécheresse du style, et qu’au lieu de Voltaire on eut M. de Fontanes. Cela ne suffisait pas pour l’ambition et le génie de la France ; M. de Fontanes le comprit lui-même, et il poussa en avant l’auteur de René. — À voir M. de Fontanes introduire M. de Châteaubriand dans le monde littéraire, ne semble-t-il pas voir le XVIIIe siècle, intelligent jusqu’au bout, abdiquer quand les forces lui manquent, et se choisir un jeune et vaillant héritier ?

L’auteur de René nous apporta l’imagination, et parce qu’à cette heure cette puissance s’est affranchie de tout frein et se livre à des saturnales, ce n’est pas une raison pour méconnaître son glorieux passé, encore si près de nous. N’oublions pas les belles pages et les beaux vers qu’elle nous a d’abord donnés sans compter ; relisons-les