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vite avec Marcelle, qui l’appelle bientôt son ami. Entre meunier et baronne, dans un roman socialiste, les confidences ne se font pas attendre. Marcelle ouvre son cœur à Grand-Louis ; Grand-Louis confie son secret à Marcelle ; il aime Rose, la fille du fermier de Blanchemont, et il désespère de l’obtenir, parce qu’elle est plus riche que lui et que le fermier est avare ; tout s’arrangera. Marcelle se charge des affaires de cœur du meunier, qui, à son tour, prend en main les affaires de cœur de Mme la baronne ; et comme tout lui réussit, il rencontre Henri Lémor partant pour l’Afrique, où il allait oublier son amour, et l’amène au château de Blanchemont. Henri arrive à propos, car l’obstacle à son bonheur est levé. Marcelle est ruinée ou à peu près ; son mari a laissé des dettes énormes, et, l’incendie s’en mêlant, il reste si peu de chose à Marcelle, que notre prolétaire n’a plus lieu d’être effrayé. Sur ces entrefaites, un vieux mendiant, un de ces Callot que Mme Sand affectionne depuis Mauprat, et dont elle ne varie pas suffisamment la physionomie grotesque, le père Cadoche meurt, et laisse au meunier d’Angibault une grosse somme qu’il avait volée pendant la terreur et enfouie, sans y toucher, pendant cinquante ans. Le père de Rose, M. Bricolin, le paysan parvenu, dont la figure est bien dessinée, du reste, n’a plus de raison pour refuser sa fille à Grand-Louis. On se marie donc, et la noce est célébrée au petit moulin, charmant moulin sur la Vanve, entouré de hêtres, de trembles et d’aulnes. Quant à Marcelle et à Lémor, ils font construire une maisonnette dans les environs, et ils vivront là désormais avec leurs bons voisins, s’inquiétant peu du reste du monde. N’oublions pas de dire qu’Henri Lémor, pour dernière transformation, se fait garçon de moulin.

Voilà bien les poètes ! Confiez-leur des thèses sociales ou des systèmes philosophiques ! ils s’enflamment pour vos idées, ce sont les disciples les plus fervens, et ceux qui ménagent le moins leur enthousiasme. Vous applaudissez d’abord ; attendez la conclusion ; elle n’est pas toujours logique, et jure souvent avec les prémisses. Ainsi, Mme Sand, dans tout son livre, prêche, enseignes déployées, les principes les plus larges de fraternité et de progrès ; il semble qu’elle va, pour parler comme M. Pierre Leroux, organiser la charité universelle ! Elle bat en brèche notre vieille société ; elle a le mot de l’avenir et enseigne la religion qui doit renouveler le monde. Puis, tout d’un coup, et pour dénouement à ses tirades éloquentes, elle oublie le culte qu’elle a embrassé avec tant de chaleur, et se souvenant seulement qu’elle est poète, dès qu’elle découvre un coin de terre plein de fraîcheur et de verdure, elle y enfouit ses socialistes pour qu’ils savourent