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héroïne de Mme Sand. Isidora, c’est Lélia qui a pris le métier de Pulchérie. C’est une ame orageuse, pleine d’abîmes, où des élans de haute vertu se heurtent contre des inspirations infernales, où se rencontrent d’épouvantables contradictions. Quoique orgueilleuse comme Satan, elle n’est pas assez forte pour se mettre au-dessus du mépris, et elle succombe sous ce fardeau, comme sous une croix trop lourde. Une seule chose la relèverait peut-être à ses propres yeux, c’est l’estime d’un homme de cœur, de Jacques Laurent, par exemple, et Isidora, sans se faire connaître, se fait aimer de Jacques à peu près comme Marion Delorme se fait aimer de Didier ; mais ces sortes d’incognito, on le sait, ne durent pas long-temps, et l’infortunée courtisane, qui avait cru un instant au bonheur, retombe plus avant dans son désespoir. Comme Didier, qui sous Marie découvre Marion, Jacques Laurent découvre sous la chaste Julie l’impudique Isidora. Le voile tombe, et la courtisane, mortellement blessée, prend la fuite. Elle va en Italie, et, nourrissant mille projets de vengeance contre un ordre social qui la traite en ennemie, elle prend la première victime qui lui tombe sous la main. Les hommes l’avilissent, elle avilira un homme à son tour. Elle est aimée d’un grand seigneur, il ne lui en faut pas davantage. Elle l’enlace, emploie mille ruses, ment à plaisir : finalement, la courtisane Isidora devient la comtesse Félix de S… et la belle-sœur d’Alice. Quelques années se passent, le comte meurt, et la belle veuve revient à Paris avec son amour qu’a grandi l’absence et qui remplit son cœur tout entier.

Isidora est repoussée avec un mépris hautain par toute la famille du comte de S…, à l’exception d’Alice, qui a dans son cœur des trésors d’indulgence. Chez Alice, Isidora retrouve Jacques Laurent, qui remplit les fonctions de précepteur, et alors commence une véritable histoire d’amour, simple et d’un intérêt puissant. Il n’y a pas de socialisme qui tienne ici ; il n’y a plus que trois cœurs qui palpitent et qui saignent. La première entrevue d’Isidora avec Jacques, la nuit, dans ce jardin où ils se sont connus autrefois, est une belle scène pleine d’élévation et d’originalité. Pour reconquérir le cœur de son ancien amant, la courtisane déploie tant de vive et impétueuse éloquence, que Jacques, malgré toutes ses résolutions, est vaincu. Et il ne cède pas à la beauté ou à l’amour ; il cède au charme irrésistible de la parole de cette femme : rarement l’auteur a trouvé des accens plus passionnés et plus brûlans.

De son côté, Alice aime Jacques Laurent, et, quoique Jacques soit revenu à Isidora, c’est Alice, à laquelle il n’a jamais parlé de son