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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/954

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amour, qui est la bien-aimée au fond de son cœur. Isidora devine l’amour de Jacques, Alice ne s’en doute pas, et la première souffre autant de sa découverte que la seconde de son ignorance. Jacques, entre ces deux cœurs, est sombre et troublé. Les transports de l’une et le silence de l’autre l’agitent et le tourmentent également. Isidora lutte de toutes ses forces pour réveiller l’amour de son amant. Tentatives inutiles ! Alors elle pleure en secret, se désole ; elle raille avec amertume sa jeunesse et sa beauté, elle maudit l’amour. Plus tard, elle pleure sans maudire, et, n’ayant plus aucune espérance, elle accepte stoïquement sa destinée, elle veut au moins finir avec Jacques par une action qui lui mérite son estime. Isidora couronne son amour par un trait héroïque. Elle écrit à Alice qui se mourait de douleur pour lui dire l’amour de Jacques Laurent. Elle a la conviction que ces deux ames sont nées l’une pour l’autre, et, se sacrifiant avec une grandeur pleine de tristesse, elle les unit devant Dieu ; puis, le sacrifice accompli, elle met la main sur son cœur et sent qu’elle est arrivée à l’impuissance d’aimer.

C’en est fait, Isidora n’aimera plus. Et pourquoi donc son cœur sera-t-il désormais incapable de battre sous les étreintes de la passion ? Elle est jeune encore, toujours belle, elle a une intelligence forte, une imagination riche, beaucoup d’énergie unie à beaucoup de sensibilité, et elle est morte à l’amour ! C’est un peu trop tôt, et l’on voit bien que c’est un jeu ou une habitude de l’auteur de Lélia. Il y a déjà long-temps que Mme Sand se complaît à nous montrer des femmes au front superbe, au port de reine, rayonnantes de beauté et de jeunesse, soulevant des murmures d’admiration sur leur passage, et portant dans leur poitrine de marbre un cœur qui a essayé de vivre un jour et qui est mort le lendemain. En conduisant si facilement ses héroïnes à l’impuissance radicale du cœur, Mme Sand ne s’aperçoit pas qu’elle les calomnie et calomnie en même temps l’amour ; elle ferait croire qu’elles n’ont jamais aimé et n’ont jamais compris qu’un froid et sauvage égoïsme, car, si elles ont une fois éprouvé véritablement la passion, elles seraient capables de l’éprouver encore : chez les cœurs aimans, l’amour a des illusions long-temps renaissantes et des ressources qu’on dirait inépuisables.

Évidemment Isidora ne dissimule pas assez sa parenté avec d’autres héroïnes de Mme Sand, et affecte des allures byroniennes trop prononcées ; elle laisse trop voir qu’elle a été bercée, en compagnie de sa sœur Lélia, sur les genoux de Manfred ou du Giaour. Cependant le roman auquel elle donne son nom et dont elle est la grande figure