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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/960

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double, avec doit et avoir, évidemment il a oublié, à moins qu’il n’ait la mémoire de César, plus d’un de ces enfans dont il est le père légitime, ou le père naturel, ou le parrain. Les productions de ces derniers mois ne s’élèvent pas à moins de trente volumes : Vingt ans après, la Reine Margot, la Guerre des Femmes, le Chevalier de Maison-Rouge, le Comte de Monte-Cristo, etc., etc. Ce qui est incontestable, c’est que la plupart de ces livres offrent une lecture amusante. Sans doute, lorsque M. Damas et ses collaborateurs bâclent un roman historique, ils se permettent de singulières incartades, et plus d’un érudit entrerait en fureur à la vue de pareilles profanations. Ces messieurs ne sont pas de l’avis de Machiavel, qui n’entrait dans son cabinet d’étude pour s’entretenir avec les hommes du passé qu’en grand costume et avec un profond respect. Les écrivains de la Reine Margot ou ceux de la Guerre des Femmes n’y regardent pas de si près ; ils visitent l’histoire sans façon et les manches retroussées. Il faut voir comme ces iconoclastes, spirituels et amusans du reste, traitent les figures historiques les plus connues, et surtout quels étranges discours ils prêtent à leurs héros ! — M. Dumas, dans la préface des Trois Mousquetaires, roman en huit volumes, dont Vingt ans après, avec ses neuf volumes, n’est que la suite, annonce gaillardement qu’il entrera sous bref délai à l’Académie Française : si c’est en qualité d’historien, ce n’est pas décourageant.

Le Comte de Monte-Cristo est, dans la demi-douzaine de romans que M. Dumas sert au public à la même heure, celui qui paraît le plus habilement agencé. Il a encore l’avantage de ne pas être une œuvre où l’histoire est défigurée à plaisir ; c’est un roman du temps actuel : il est fâcheux qu’à partir du troisième volume on sente l’imitation des Mystères de Paris. Sans doute il ne faut pas chercher dans ce tableau de la vie actuelle la vérité et la profondeur ; il n’y a pas moins beaucoup d’agrément dans cette narration vive, pétulante, dans ce dialogue animé, dans cette heureuse combinaison d’évènemens qui naissent sans effort les uns des autres. Le comte de Monte-Cristo est une espèce de prince Rodolphe ; toutefois il est autrement riche que le grand-duc de Gérolstein. Monte-Cristo est plus opulent qu’un nabab ; il revient de l’Eldorado comme Candide : à la lettre il a trouvé un trésor. À ce sujet, on peut remarquer avec quelle facilité nos romanciers additionnent les millions. On sait le goût de M. de Balzac, qui nage si bien en plein Pactole ; on connaît les millions de la succession Rennepont, et avant, on avait les millions de Lugarto. M. Damas ne pouvait rester en arrière, et il a placé, au milieu de son roman, une mine