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d’or. Du reste, l’idée des auteurs de Monte-Cristo est assez neuve ; ils ont voulu montrer un homme d’une intelligence supérieure qui a de terribles vengeances à exercer, et qui a en main l’irrésistible puissance de l’argent. À l’aide de cette donnée, on a construit un drame qui, sans offrir une peinture sérieuse des caractères, ni une étude de la société, sans s’adresser à l’esprit ni au cœur, parvient à piquer assez vivement la curiosité. Après quoi, il est permis de croire que M. Dumas, qui n’avait pas encore trôné en dictateur dans le feuilleton, pourrait bien se réveiller un de ces matins avec la fragile couronne au front. C’est peut-être déjà fait. Alors qu’il ne soit pas ingrat envers les compagnons de ses travaux. N’a-t-il pas sa pairie toute prête, au moins douze pairs, comme Charlemagne ?

Ce n’est pas M. de Balzac qui disputera à MM. Dumas l’engouement du vulgaire ; ce n’est pas M. Soulié non plus. M. de Balzac et M. Soulié ont vu depuis long-temps s’éloigner d’eux la grosse popularité, et cette déesse n’a pas l’habitude de revenir sur ses pas. Ils ne seraient guère à plaindre, au reste, de cet abandon, s’ils s’en consolaient dans des travaux choisis, dans des études fécondes, et surtout s’ils avaient conservé cette fraîcheur d’imagination qui, pour aimer particulièrement la jeunesse, ne fuit pas toujours l’âge mûr, et brille quelquefois jusqu’au déclin. Par malheur, ils n’ont pas gardé le don précieux, ils, l’ont jeté aux quatre vents du ciel. Que font-ils alors ? M. de Balzac s’enfonce dans ses défauts, il s’y établit comme dans une grasse châtellenie de Touraine. Le charmant conteur d’Eugénie Grandet est devenu un conteur diffus et embrouillé. L’observateur qui voyait bien se sert maintenant d’une lunette dont les verres lui changent la couleur et la dimension des objets. M. de Balzac n’aperçoit plus la réalité qu’à travers un prisme. Dans les Paysans, y a-t-il un seul personnage qui soit réel, qui ne soit pas de pure fantaisie ? Y en a-t-il un seul qui ait le degré de vraisemblance nécessaire, et qui soit vrai dans son genre et son originalité, comme le Bas-de-Cuir de Cooper, pour citer quelqu’un ? Les paysans de M. de Balzac, avec leur machiavélisme outré, leurs haines bizarres et les mille traits tourmentés de leur physionomie, n’habitent ni le nord, ni le midi de la France. Ils viennent sans doute de ce pays qui a vu naître les jeunes filles des derniers livres de M. de Balzac, ces jeunes filles du nom de Modeste, qui ont une science si profonde et si raffinée ! Les paysans de M. de Balzac n’existent que dans cette lande déserte que cherche à peupler l’imagination épuisée du romancier. Sans compter que c’est une heureuse idée qu’a eue M. de Balzac de prédire une jacquerie, et de demander