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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/962

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le rétablissement de la féodalité ! Que voulez-vous ? c’est son socialisme à lui ; Mme Sand en a un autre ; M. Sue également : à chaque romancier le sien. À la vérité, chez l’auteur des Paysans, c’est du luxe, il ne s’en sert qu’à certains jours, et justement il n’en fait pas parade dans un dernier petit ouvrage où il traite de son sujet de prédilection, la vie conjugale. Après quinze ans, l’auteur de la Physiologie du Mariage a voulu refaire un livre que, sans être trop sévère, il est permis de trouver passablement licencieux, et au lieu de l’enrichir, il l’a appauvri. La péroraison de M. de Balzac va rejoindre son exorde ; mais dans l’intervalle, les traits du moraliste rabelaisien se sont émoussés, sa gaieté n’est plus communicative ; son rire est jaune. Tout le naturel du talent a disparu.

Les Drames inconnus de M. Soulié sont l’éternelle continuation des Mémoires du Diable. C’est la même fable enchevêtrée ; ce sont les mêmes couleurs violentes et communes, avec la jeunesse et la nouveauté de moins. Sans être bien littéraire, M. Soulié avait du dramatique et un certain mordant, qualités qui vieillissent vite si on en abuse, et M. Soulié en a fait un abus énorme. Aussi, quoiqu’il veuille encore être terrible, il ne réussit qu’à être long et filandreux. Son diable n’a plus de griffes, et, malgré qu’il en ait, il devient bonhomme. L’auteur des Drames Inconnus a beau parsemer ses récits d’enfans trouvés, de femmes de mauvaise vie, de meurtres et d’infanticides, il ne parvient ni à nous attendrir, ni à nous effrayer. Il ne suffit pas, pour intéresser le lecteur, de voir les hommes en noir, d’exagérer de parti pris la méchanceté du cœur humain, et d’avoir l’air de croire que sur dix femmes entourées des respects du monde, neuf méritent la cour d’assises, et que les salons sont les tapis francs de la bonne compagnie. Ces exagérations incroyables ne dispensent pas d’être un conteur habile et original, et de tracer ses caractères d’une main ferme et délicate, de quoi M. Soulié semble prendre un médiocre souci. La manière de conter, le dialogue, les personnages, tout, dans les Drames Inconnus, est d’une trivialité fort peu avenante. — Rendons, du reste, à chacun ce qui lui revient : c’est M. Soulié qui a inventé les longs romans où d’autres ont fait fortune, où lui-même réussit d’abord, et dans lesquels il s’égare aujourd’hui comme dans des catacombes dont on ne sait plus retrouver la porte. M. Frédéric Soulié fut, sans s’en douter, le Jean-Baptiste de M. Eugène Sue. Que Dieu pardonne au précurseur et au messie du roman-feuilleton en dix volumes !

Ainsi voilà où en sont les romanciers régnans et vieillissans, tandis