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Pourra-t-il comprimer le fanatisme musulman toujours si implacable contre les chrétiens d’Orient ? Peut-il compter sur la justice des autorités turques, dont l’odieuse partialité en faveur des Druzes a été cent fois signalée dans la dernière guère ? Peut-il compter sur l’armée, qui a excité les partis l’un contre l’autre au lieu de les contenir, et qui a massacré les chrétiens au lieu de les défendre ? D’ailleurs, la note du 28 juillet laisse subsister dans la montagne un ordre de choses que la France, protectrice des chrétiens d’Orient, ne peut accepter sans réserve.

Il est bon de rappeler en quoi consistent les difficultés que l’arrangement de 1842 a rencontrées dans les districts mixtes, c’est-à-dire dans la moitié du Liban, difficultés assez grandes pour que, depuis trois ans, on n’ait su de quelle manière s’y prendre pour exécuter l’arrangement. Les districts mixtes sont peuplés par deux cinquièmes de Druzes et trois cinquièmes de chrétiens. Pendant le gouvernement de l’émir Béchir, la puissance des chrétiens s’était considérablement développée ; les cheiks druzes, à la suite de révoltes nombreuses, avaient été chassés de Syrie. En 1840, ils profitèrent du bouleversement général pour reprendre ce qu’ils avaient perdu depuis un quart de siècle ; les chrétiens ne voulurent pas reconnaître l’autorité de ces nouveaux venus. Les Druzes, moins nombreux, mais plus unis, organisèrent, en 1841, un plan d’attaque soudain et général, et firent un vaste massacre des chrétiens. Cette manière de procéder n’était pas faite pour rendre ceux-ci plus disposés à accepter la restauration de l’autorité druze. Les Turcs n’étaient d’ailleurs pas innocens de ces excès, et tentèrent d’en faire leur profit ; mais l’Europe intervint et s’opposa à l’installation d’un pacha en demandant la conservation de l’administration indigène et le respect des vieilles traditions : une année de pourparlers amena comme transaction le système des deux kaïmakans, dans lequel un chef d’origine druze devait commander aux Druzes, et un chef chrétien devait commander aux chrétiens. C’est pour avoir mal compris ce système que l’on a discuté près de trois ans à Constantinople, et que les parties intéressées s’égorgeaient, il y a deux mois. Les chrétiens disaient que l’arrangement de 1842 avait été fait pour eux et pour les soustraire à la haine et aux violences des Druzes : en ceci, ils avaient parfaitement raison ; à quoi les Druzes répondaient que deux autorités ne pouvaient exister dans les mêmes communes, dans les mêmes districts, sans que la guerre civile y devînt un fait nécessaire et normal, et en ceci les Druzes avaient également raison ; ils ajoutaient, bien entendu, que leurs cheiks étaient la seule autorité légitime, et que l’émir Béchir avait fait acte d’injustice en les expulsant. Entre ces deux opinions contradictoires, on a pris au commencement de 1845, à Constantinople, une sorte de mezzo termine d’où est sortie la note du 28 juillet ; celle-ci n’est au fond que la confirmation du système bâtard de 1842. La teneur de cette étrange pièce, type de protocole turc, laisse le champ libre à toutes les interprétations. Toutefois, il en ressort assez clairement l’intention de donner aux Druzes, dans la personne de leurs moukatadjis, une supériorité réelle sur les Maronites. Dans les villages