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marche flatteuse pour le roi de Prusse le rendrait favorable aux intérêts anglais dans les affaires du Zollverein, cet espoir a été complètement déçu. Le congrès douanier de Carlsruhe, au lieu d’abaisser les droits qui protègent l’industrie allemande contre la concurrence étrangère, a paru en général disposé à les élever. La Prusse, fidèle à ses traditions, a d’abord combattu cette tendance, elle a voulu maintenir les tarifs existans ; mais il paraît qu’aujourd’hui elle consent aux aggravations qu’on lui demande, et qui seront surtout dirigées contre la concurrence anglaise. La Prusse, qui s’est vue accusée de trahison, en 1842, au congrès de Stuttgard, pour avoir défendu trop vivement le système des tarifs modérés, a craint en dernier lieu de soulever de nouveaux mécontentemens, et de réveiller d’anciennes préventions. Jamais d’ailleurs l’assentiment des états germaniques n’a été plus nécessaire à la Prusse qu’en ce moment. Le rôle qu’elle vient de prendre dans les affaires religieuses lui a créé une situation difficile qui doit exciter la défiance des populations allemandes, et lui donner, à leurs yeux, des torts qu’elle doit racheter par des concessions.

Les mouvemens religieux dont l’Allemagne est le théâtre ont pris tout à coup une importance que personne n’aurait pu prévoir. L’esprit de secte, après avoir long-temps germé dans les têtes de quelques novateurs, a fini par s’emparer des masses et a causé de graves désordres, qui ont dû fixer l’attention des gouvernemens. M. de Metternich, dit-on, n’a pas caché le trouble que lui ont fait éprouver ces manifestations, dans lesquelles il a reconnu le symptôme d’une fermentation morale qui a besoin d’aliment. Tel est le résultat du système qui a voulu à toute force, depuis trente ans, comprimer en Allemagne l’esprit public. En refusant aux peuples des constitutions, en les privant de la tribune et de la presse, on les a rejetés dans l’activité philosophique et religieuse, tout aussi redoutable dans ses excès que l’activité politique, car l’esprit de secte et d’hérésie est aussi un esprit de liberté capable de toutes les exagérations et de toutes les fureurs. Quoi qu’il en soit, il était urgent de prendre un parti. Les populations s’agitaient de tous côtés, et les cérémonies des catholiques allemands menaçaient l’ordre public. D’après les conseils de M. de Metternich, il a été décidé que le mouvement religieux serait comprimé. La Prusse a donné le signal de la réaction. MM. Ronge et Czerski, les apôtres de l’église allemande, ont reçu l’ordre de se rendre dans des résidences distinctes, et de n’en pas sortir sans autorisation supérieure. Les réunions publiques ou clandestines ont été prohibées. Toute polémique religieuse a été interdite dans les journaux. Le gouvernement prussien, jusqu’ici favorable à la liberté de conscience, n’a pas hésité, comme on voit, à démentir ses précédens. Toutefois, en même temps qu’il comprimait toutes les manifestations religieuses, le roi de Prusse a témoigné, dit-on, des intentions favorables à la liberté politique. Est-ce un langage sincère, est-ce un moyen de se faire pardonner ses dernières rigueurs ? L’avenir nous l’apprendra.

L’Europe a toujours les regards fixés sur la Suisse, où une explosion semble