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irlandais un pouvoir énorme, en leur donnant le moyen de faire et de défaire les électeurs comme bon leur semblerait. Aussi, dans une résolution fortement motivée, l’association du rappel ne tarda-t-elle pas à se prononcer contre le bill Elliott, et à le signaler « comme une tentative hardie pour livrer les élections irlandaises à l’oligarchie territoriale, et pour supprimer entièrement la voix du peuple dans les comtés. » Peu de jours après, à Cork, O’Connell parla violemment dans le même sens, et promit de mourir sur le plancher de la chambre des communes plutôt que de laisser passer un bill aussi infame. Sans aller jusque-là, toutes les feuilles libérales anglaises, et le Times lui-même, reconnurent que la critique était juste, et que le bill, s’il passait, ressusciterait infailliblement ce qu’on appelle le mushroorn system (système champignon), c’est-à-dire le système à l’aide duquel un propriétaire expérimenté fait sortir de terre, du jour au lendemain, quelques centaines d’électeurs. En présence d’une réprobation aussi générale, il était difficile que le gouvernement persévérât dans son projet. Il y renonça donc, et ce premier essai de conciliation n’eut point d’autre résultat.

Sir Robert Peel fut plus heureux dans le bill qu’il fit présenter par sir James Graham sur les fondations pieuses et sur les institutions charitables en Irlande (bequests-bill). Ce bill contenait deux innovations graves. D’une part, à la commission (board) purement protestante, chargée d’examiner et d’autoriser, s’il y avait lieu, tous les dons et legs faits aux chapelles ou aux institutions catholiques, il substituait une commission mixte où devaient figurer des évêques catholiques, donnant ainsi au culte de la majorité de grandes garanties et de grandes facilités ; de l’autre, il reconnaissait implicitement toute la hiérarchie catholique, et rompait avec les traditions intolérantes de l’église protestante. C’était plus que n’avait demandé, dix-huit mois auparavant, lord Palmerston dans le discours où il exposa la politique des whigs à l’égard de l’Irlande. Malgré cela, c’est à peine si, dans le parlement, le bill rencontra une légère opposition. Au dernier moment, deux ou trois évêques catholiques essayèrent de le combattre comme insuffisant, comme hypocrite, et, entraînés par la voix de leurs pasteurs, quelques membres catholiques en demandèrent le rejet ; mais M. Wyse, M. Sheil, M. John O’Connell, eurent la bonne foi de reconnaître que ce bill améliorait notablement l’état ancien, et qu’il fallait en savoir gré au cabinet. Quant au parti ultra-protestant, soit qu’il ne comprit pas la portée de la mesure, soit qu’il désespérât de la faire rejeter, il garda dans le débat un silence singulier. En conséquence,