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LE COMTE

Le fait est que le froid est odieux ; l’hiver est une maladie. Les badauds voient le pavé propre, le ciel clair, et, quand un vent bien sec leur coupe les oreilles, ils appellent cela une belle gelée. C’est comme qui dirait une belle fluxion de poitrine. Bien obligé de ces beautés-là.

LA MARQUISE

Je suis plus que de votre avis. Il me semble que mon ennui me vient moins de l’air du dehors, tout froid qu’il est, que de celui que les autres respirent. C’est peut-être que nous vieillissons ; je commence à avoir trente ans, et je perds le talent de vivre.

LE COMTE

Je n’ai jamais eu ce talent-là, et ce qui m’épouvante, c’est que je le gagne. En prenant des années on devient plat ou fou, et j’ai une peur atroce de mourir comme un sage.

LA MARQUISE

Sonnez pour qu’on mette une bûche au feu ; votre idée me gèle.

(On entend le bruit d’une sonnette au dehors.)
LE COMTE

Ce n’est pas la peine, on sonne à la porte, et votre procession arrive.

LA MARQUISE

Voyons quelle sera la bannière, et surtout tâchez de rester.

LE COMTE

Non ; décidément je m’en vais.

LA MARQUISE

Où allez-vous ?

LE COMTE

Je n’en sais rien. (Il se lève, salue, et ouvre la porte.) Adieu, madame, à jeudi soir.

LA MARQUISE

Pourquoi jeudi ?

LE COMTE, debout, tenant le bouton de la porte.

N’est-ce pas votre jour aux Italiens ? J’irai vous faire une petite visite.

LA MARQUISE

Je ne veux pas de vous ; vous êtes trop maussade. D’ailleurs, j’y mène M. Camus.

LE COMTE

M. Camus, votre voisin de campagne ?