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Et dans les rougeurs sombres
Des nuages flottans
On voit passer les ombres
Des héros du vieux temps.
Ils viennent, grands, sublimes,
Mais le chef incliné,
Comme, au bord des abîmes,
Un pin déraciné.
Et leurs fronts, hauts et mâles,
Ridés comme la mer,
Lancent des éclairs pâles ;
Qui se croisent dans l’air.
Là, du sein de la nue
Jusqu’au sein des vallons,
Ils percent l’étendue,
De leurs regards profonds.
Ils voient tout : les vallées
Qui cachent leurs tombeaux,
Et les tours écroulées
Marquant des lieux nouveaux.
Mais leur regard s’étonne :
Il cherche, il cherche en vain ;
Comme l’aigle, en automne,
Planant sur le ravin :
Alors qu’à la montagne
Dit adieu le troupeau,
Qui lentement regagne
La plaine et le hameau,
Et que l’oiseau superbe,
Las sur les monts d’errer,
N’entend pas même l’herbe
Se plaindre et murmurer.
Le chant, le chant qui monte,
Ils l’écoutent pourtant :
Mais ils n’en tiennent compte ;
Hélas. ! ce n’est qu’un chant !
Comme un bruit de tempête,
Il expire auprès d’eux ;
Mais ils hochent la tête,
Et regardent les cieux.
Ils soupirent,… ils passent,
En espérant encor,
Et dans la nuit s’effacent
Avec les astres d’or.
Oh ! les temps héroïques,
Où sont-ils ? où sont-ils ?
Hommes des jours antiques,
N’avez-vous plus de fils ?
UN PAYSAN SUISSE.


V. DE MARS