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et comme nul démon ne le sollicite, comme il ne se passionne pour aucune idée, pas même pour la sienne, puisqu’il ne lui en vient pas, on le voit passer à Rossini avec la même consciencieuse application, avec le même zèle dévot dont il a fait preuve à l’endroit de Weber ou de Meyerbeer. « Halévy emprunte à tout le monde, écrivait, il y a quelques années, un critique d’outre-Rhin. Sa Juive est un bouquet composé des magnolias de Weber, des camélias d’Auber, et des violettes de Parme de Bellini. Que pensez-vous du compliment ? Ne trouvez-vous point que c’est bien de la poésie pour un musicien qui, en somme, n’en a guère ? Depuis Hoffmann, les Allemands sont ainsi faits ; ils voient des fleurs partout : passe encore pour des palmes, puisqu’il s’agit d’un esprit tout académique ; mais des magnolias, des violettes, des camélias, oh ! la fantaisie ! — Revenons à Nabucodonosor, à cette gerbe de cactus et de lauriers-roses cueillie au jardin de Rossini, comme dirait sans doute notre Allemand de tout à l’heure.

La préoccupation du style rossinien, du style épique à la fois et fiorito de la Semiramide, voilà en somme le caractère prédominant dans l’opéra de Verdi, le signe distinctif auprès duquel les échappées du côté de l’Allemagne ne sont que simples accessoires et détails plus ou moins ingénieux faits pour donner le change aux esprits superficiels. Remarquez que je ne parle point ici seulement de la couleur générale de l’ouvrage, de cette pompe assyrienne et sacerdotale que l’analogie du sujet devait naturellement évoquer chez le chef de la jeune école italienne, si profondément doué du sentiment du grandiose ; mais de la coupe même des morceaux, d’un retour marqué à toute une phraséologie tombée en désuétude par l’avènement de l’école de Bellini, et qui reparaît modifiée selon les temps nouveaux, et portant la glorieuse empreinte d’une touche puissante et magistrale. Mieux encore peut-être que le spectacle imposant de l’œuvre en son ensemble, un rapide coup d’œil jeté sur les parties nous convaincra du secret penchant de son auteur à remonter vers la source de ce Nil mélodieux dont les flots conservent encore aujourd’hui, pour les générations nouvelles, des trésors de fécondité. Voyez, par exemple, le trio du premier acte : Io t’amava ! il regno, il core ! Quoi de plus rossinien que ce morceau traité en canon, et dont la facture rappelle le célèbre nume benefico de la Gazza ladra ; j’en dirai autant du magnifique sextuor avec chœur : Tremin gl’insani, lequel par un de ces larghetti vastes et soutenus si en honneur dans le Mosé et la Semiramide. Ronconi, n’ayons garde d’oublier de le constater, Ronconi chante et récite cet exorde avec la Verve dramatique, l’accent, la maestria d’un chanteur de premier ordre, ayant à cœur d’initier toute une salle aux beautés d’une musique écrite pour lui et qu’il aime. Ses premières notes staccate sont d’un effet admirable. A l’air de la Brambilla, qui ouvre le second acte, je préfère de beaucoup le chœur des lévites, d’un style plein de grandeur et de simplicité : Il maledetto non ha fratelli, et surtout le finale : S’apressan gl’ istanti. On aura remarqué, dans ce dernier morceau, une succession de gammes ascendantes