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politique isolée de l’exécution ne produisent que désastres. Saisissez l’occasion, c’est le grand instrument de la politique ; saisissez-la pour faire le bien, selon la teneur de vos intérêts. N’allez pas demander le succès à des théories, ni le bien-être à des dilemmes ; agissez selon la probité et selon la situation des choses. Aujourd’hui vous avez toutes les raisons pour faire la paix, pour la faire franchement et sans arrière-pensée. Mille lieues de mer vous séparent de vos ennemis. Quelle action exercerez-vous sur eux ? Entre l’ordre et l’exécution, les mois se passent, l’Océan gronde ; il ne faut qu’un accident, une explication mal donnée, un ordre mal compris, pour détruire votre pouvoir. Vous avez des vaisseau qui, les ailes déployées, ministres rapides de vengeance, vont la porter aux limites du monde ; mais Dieu existe aussi, et, se plaçant entre vous et les objets de votre colère, il dit : « Vous n’irez pas plus loin ! Qui donc êtes-vous pour vous insurger contre la nature, et ronger insolemment le frein de bronze de la nécessité ? »

« — Vous avez affaire à une nation litigieuse, habituée à la chicane, discutant tout, nation d’avocats ; abeunt studia in mores. Cette étude aiguise l’esprit, le rend prompt à l’attaque, armé pour la défense, préparé à l’enquête et qui fait aimer le combat des idées. Un tel peuple n’attend pas qu’il se sente blessé pour se révolter contre le principe qui le blesse ; il va chercher ce principe à sa source, et c’est là qu’il veut l’étouffer. Habitué à remonter des conséquences aux prémisses, son instinct l’avertit du danger lointain ; il flaire la tyrannie, il se met à la piste des abus, et cette recherche qui l’amuse n’est jamais vaine…

« L’esprit de liberté, très vif dans lest états du nord, l’est davantage encore dans les états du sud. La Caroline et la Virginie sont remplies d’esclaves, et la possession des esclaves donne toujours au maître un orgueil féroce qui lui rend son indépendance plus chère.

« Pour ces hommes, la liberté n’est pas seulement un, droit, c’est un privilège ; elle constitue en leur faveur une aristocratie. Ils ne connaissent pas comme nous la liberté pauvreteuse, la liberté en haillons, souffrante, abjecte, la liberté esclave de ses vices et du besoin, mais la liberté-reine, la liberté impérieuse et obéie. Ce ne sont pas de grands moralistes que les planteurs, et je ne prétends pas leur faire honneur de cette passion de l’indépendance, orgueil plutôt que vertu ; mais la nature humaine est faite ainsi : vous ne l’abolirez pas. Les Américains du sud, propriétaires d’esclaves, tiennent à leur apanage plus qu’à la vie. C’était le fait des anciennes républiques, de vos ancêtres les Goths, des Polonais modernes. Tels seront toujours ceux qui ceux qui commandent sans obéir ; chez eux, la hauteur de domination se combinant avec le génie de la liberté, ce mélange les fait invincibles. »


Un des membres des communes, Johnston, s’écria : « Grace à Dieu, la galerie était vide. Si le peuple eût entendu ce discours, l’émeute courrait maintenant les rues, et la maison des ministres serait en feu. » « Je regrette, dit le colonel Barré, que personne n’ait pris des notes :