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Il vient de paraître à Francfort un ouvrage bien fait assurément pour piquer la curiosité, si son titre n’est pas faux et tient tout ce qu’il promet. Voici ce titre : le Cerf-Volant, dernier ouvrage de Jean-Paul[1]. Une œuvre nouvelle, une œuvre inédite de l’auteur du Titan, c’est une bonne fortune et très inattendue. Ne nous hâtons pas cependant de nous réjouir : on a souvent abusé de la confiance du public et attribué à des maîtres glorieux des œuvres plus que suspectes ; il convient en ces matières de vérifier sévèrement les titres de l’éditeur. Il y a quelques mois à peine, un écrivain allemand publiait un roman médiocre qu’il intitulait magnifiquement : le Piétiste, roman religieux par Jean-Paul ; or, l’auteur de ce livre est tout simplement un certain M. Goehring qui a pris ou a cru prendre le costume de Jean-Paul, espérant donner à sa prédication plus de charme et d’autorité : M. Goehring en a été pour ses frais de déguisement. L’ouvrage que nous annonçons n’est pas un spéculation de ce genre ; l’éditeur, parfaitement autorisé, est M. Ernest Foerster, le gendre et l’héritier de Jean-Paul, qui s’occupe depuis longues années à réunir les feuilles dispersées de l’illustre écrivain. Il n’y a donc aucun doute sur l’authenticité de ces curieuses pages ; seulement, ces pages forment-elles un livre ? et ce livre est-il celui que Jean-Paul avait promis ? L’éditeur enfin a-t-il raison d’annoncer ce dernier ouvrage de Jean-Paul, comme si c’était bien, en effet, une œuvre composée par l’auteur d'Hesperus, et non pas une série de fragmens réunis par une main étrangère ? Voici les lignes assez curieuses trouvées par M. Foerster dans les papiers de Jean-Paul, et qui lui ont inspiré l’idée de ce recueil :

« Il faut enfin que j’écrive mon dernier ouvrage ; il paraîtra précisément sous ce titre, ou sous cet autre, annoncé déjà, le Cerf-Volant, ou peut-être avec tous les deux ; mais, dans tous les cas, il aura la forme d’un journal hebdomadaire, comme le Spectateur anglais, par exemple… Dans ce dernier ouvrage, dans ce Cerf-Volant, il faut absolument que je mette (pour en finir une bonne fois avec moi-même) toute ma provision, aventures, apparitions comiques, remarques sur les hommes et les choses, sur Satan et sa grand’mère, vues politiques et philosophiques, sentimens, impressions, en un mot tout ce que j’ai encore au fond de mon pupitre et de ma cervelle… L’ouvrage sera donc une décharge générale de toute mon artillerie, une fête de toutes mes pensées donnée par moi à tous les esprits, un sabbat, une folle nuit, un charivari pour la noce de toutes mes idées.

Jean-Paul-Frédéric Richter. »
Bayreuth, 13 février 1823.

On reconnaît le style de Jean-Paul, cette langue bizarre qui brouille tout, ces affectations naïves, ces recherches pleines d’ingénuité, mélanges de Ra-

  1. Francfort, 1845. Paris, Klinkckseick, rue de Lille, 11.