Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/850

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

France une sorte de débat public qui dura trente ans, qui fit entasser volumes sur volumes, et auquel prirent part, outre les sectateurs de l’école des économistes, presque tous les écrivains célèbres du temps. Combien de discussions n’a-t-elle pas fait naître durant la période révolutionnaire ! combien depuis 1814, au sein de nos assemblées législatives ! Et l’Angleterre n’est pas demeurée en reste avec la France à cet égard. Depuis 1815 surtout, date de l’existence de la loi actuelle, il n’y a point d’année qui n’ait vu se renouveler des discussions toujours plus vives. Du seul recueil des ouvrages publiés sur cette matière dans les deux pays, on formerait sans peine une grande bibliothèque.

Malgré tant d’essais d’une part, tant de travaux de l’autre, il s’en faut bien que le problème des subsistances soit résolu, et la situation actuelle de l’Europe le prouve. En dépit des lois destinées à les prévenir, les disettes de céréales reparaissent avec tous les maux, tous les périls qu’elles traînent à leur suite. il ne semble pas, d’ailleurs, que la question de principe soit plus avancée que la question de fait, puisque, de toutes parts, les débats recommencent avec une nouvelle ardeur. Faut-il conclure de là que le retour des disettes soit un mal inévitable, contre lequel l’humanité se débat en vain ? Faut-il admettre que le problème proposé n’ait pas, même en théorie, de bonne solution possible ? Assurément non. A cet égard, la multiplicité des tentatives ne prouve rien, sinon peut-être la séduction de certaines erreurs. Est-il donc si rare de voir les hommes, sans en excepter ceux qui gouvernent, se laisser entraîner par des apparences trompeuses toujours les mêmes, et suivre avec une persistance opiniâtre de fausses lueurs qui les égarent, sans que l’expérience, une expérience mille fois renouvelée, puisse rien contre cet entraînement fatal ? Après tout, malgré leur multiplicité et leur diversité apparente, toutes les mesures relatives aux subsistances varient peu quant au fond. C’est partout la même succession d’idées, avec le même enchaînement de conséquences. Tout cela roule éternellement dans le même cercle, cercle d’erreurs, de préjugés, de fausses hypothèses, toujours renouvelés des anciens temps.

Un gouvernement prévoyant et sage doit pourvoir, dit-on, à la subsistance du pays dont l’administration lui est confiée, et, pour cela, que faut-il faire ? En premier lieu, interdire ou du moins soumettre à des restrictions sévères l’exportation des grains indigènes, afin de réserver pour la consommation des nationaux tout ce que le sol produit ; en second lieu, favoriser l’importation des grains étrangers,