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et pourvu d’une population nombreuse, tel, par exemple, que la France et l’Angleterre, puisse jamais compter pour ses approvisionnemens en grains sur les importations du dehors. Les grains sont d’un usage trop général, et d’ailleurs trop encombrans, trop lourds, pour que les quantités venant de loin suppléent jamais, nous ne disons pas à la production totale d’un pays, mais même aux lacunes qui peuvent s’y manifester de temps en temps. Suivant les évaluations les plus probables[1], la production annuelle de la France en céréales de diverses sortes est de 180 millions d’hectolitres. Si l’on s’en rapporte, en outre, aux estimations produites au sein des chambres lors de la discussion de la loi de 1832, la différence en produit d’une bonne à une mauvaise récolte serait de 30 à 40 millions. Ces données, que nous sommes loin de produire comme rigoureusement exactes, peuvent du moins être admises à titre d’approximations. Eh bien ! la plus forte importation connue, celle de 1831, n’a guère excédé 3 millions. Est-ce avec cette quantité, qui doit encore être considérée comme exceptionnelle, car cette importation a dépassé de bien loin toutes les autres, qu’on peut se flatter de remplir le vide de la production locale ? Ce que nous disons de la France s’applique, du reste, avec la même force à l’Angleterre, quoique les moyens d’approvisionnement par le dehors y soient à certains égards plus étendus. Portées à leur extrême limite, les ressources fournies par l’importation n’ont jamais excédé en France le cinquantième, en Angleterre le vingtième peut-être des besoins. Ce seul rapprochement démontre assez que jamais l’abondance ne peut naître dans un grand pays de la faculté d’importer, et ce que le calcul, ce que la raison enseigne est d’ailleurs pleinement confirmé par l’expérience. Nous avons vu que pendant une longue suite d’années, et jusqu’en 1814, la liberté d’importation fut en quelque sorte le droit commun en France. A-t-on appris par hasard que, durant cette longue période, les disettes y aient été inconnues ? Loin de là ; le pays n’a pas même été préservé de la famine. L’histoire de l’Angleterre n’est pas moins instructive à cet égard, puisqu’en effet l’intervalle

  1. Il faut ignorer absolument comment ces sortes d’évaluations sont faites pour en tirer, comme on l’a fait souvent, des inductions rigoureuses, et surtout pour oser présenter ces inductions comme des vérités établies. Ni en Angleterre, ni en France, on ne connaît exactement le chiffre de la production, parce qu’on manque de données fixes pour l’établir. D’ailleurs, comme l’a fait observer très judicieusement M. Mac-Culloch, non-seulement les récoltes sont variables, mais encore la quantité même des terres mises en culture varie d’une année à l’autre, de sorte que tout calcul exact est impossible.