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offre encore à l’admiration des visiteurs l’hôtel Chesterfield, Chesterfield-house, que ce seigneur a fait construire en 1747 sur un terrain acheté à grand prix au chapitre de Westminster. L’extérieur est d’une simplicité élégante ; l’intérieur rappelle les petites maisons de notre régence. Tout y est encore dans l’état où la mort du comte l’a laissé en 1773. On a respecté le salon, dont il était fier, et cette riante bibliothèque dont les fenêtres ouvrent sur le plus beau jardin de Londres. Au-dessus des armoires d’acajou, qui s’élèvent à hauteur d’appui, règne la série des portraits d’auteurs anciens ou modernes que Chesterfield aimait le plus. Une inscription en majuscules d’or d’un pied de long se détache sur le fond sombre du lambris, et offre la devise que Chesterfield avait choisie pour sa maturité et sa vieillesse

NUNC. VETERUM. LIBRIS. NUNC. SOMNO. ET. INERTIBUS. HORIS.
DUCERE. SOLLICITAE. JUCUNDA. OBLIVIA. VITAE.

Sur la cheminée et sur les consoles sont répandus avec un élégant désordre statuettes, bronzes antiques, marbres voluptueux, urnes athéniennes, mélange charmant de raffinement, de grace et d’érudition. Une porte secrète donne de la bibliothèque dans ce joli boudoir dont il fait lui-même en français la description un peu maniérée, adressée à l’une de ses amies : « La boisure et le plafond sont d’un beau bleu, avec beaucoup de sculptures et de dorures ; les tapisseries et les chaises sont d’un ouvrage à fleurs au petit point, d’un dessin magnifique sur un fond blanc. Par-dessus la cheminée, qui est de marbre jaune de Sienne, force glaces, sculptures, dorures, et, au milieu, le portrait d’une très belle femme peint par la Rosalba… Ce boudoir, ajoute-t-il, jouant sur le mot comme il avait coutume de jouer avec la vie, — est si gai et si riant, qu’on n’y peut jamais bouder quand on y est seul. C’est un défaut aimable pour qui aime la bouderie aussi peu que moi. Mais en tout cas il est facile de le réparer en y recevant les gens maussades, fâcheux, désagréables, que de temps en temps on est obligé d’essuyer. Quand on m’annonce un animal de la sorte, je cours d’abord à mon boudoir comme à mon sanctuaire pour l’y recevoir : il a moins de prise sur moi ; car, de la façon que nous sommes faits, tel sot qui m’accablerait dans une chambre lugubre peut m’amuser dans un cabinet orné et riant… »

Ce fut dans cette maison délicieuse, par une matinée d’octobre 1747, que le représentant de la civilisation la plus avancée, et, disons-le, la plus puérile de l’Angleterre, attendait une visite ardemment