Si cette invasion continue, l’Orient n’offrira plus à l’album des Anglaises un seul pilastre digne d’elles, un coin dont elles puissent dire : « It is highly satisfactory ! — c’est bien satisfaisant ! » - le dernier terme de l’enthousiasme chez la touriste anglaise.
Nous n’avons pas la prétention de passer en revue les trois ou quatre cents volumes anglais dont l’Orient a été le prétexte depuis une dizaine d’années, et que certes nous n’avons pas lus et ne nous promettons pas de lire. Le courage nous manquerait pour soulever seulement la gerbe de l’année dernière. Toute une mission de voyageurs s’est mise à l’œuvre ; nos voisins ont couvert l’Égypte, l’Arabie, la Palestine, la Turquie, la Grèce et la Mésopotamie. Seigneurs, commis, étudians, capitaines, marchands, ecclésiastiques, des dames, des demoiselles, et, ce qui atteste une fièvre orientale bien singulière, des personnes qui, n’ayant jamais quitté Londres, leur home et leur coin du feu, veulent voyager au moins en imagination dans le pays de leurs rêves, publient résolument, comme miss Plimley, le récit d’un voyage qu’elles ont fait ou désireraient faire[1]. Parmi les plus sérieux de ces voyageurs, certains visitent l’Orient pour leur libraire, et d’autres pour leur église. M. Dawson Borrer[2] calcule exactement les mètres et les toises de colonnades et de statues ; M. White[3] fait l’inventaire des boutiques de Stamboul et de ce qu’elles contiennent ; M. Cameron[4] entonne les louanges de sa majesté l’empereur Nicolas, et M. Hill[5], animé d’une indignation véhémente contre le pape, auquel il préfère hautement le chef des mollahs, n’a d’autre but que de démontrer la supériorité de l’islamisme sur la foi catholique ; lord Nugent, au contraire, visite les lieux saints[6] pour s’assurer de l’emplacement exact et des localités précises de Bethléem et du Golgotha ; enfin M. Urquhart, homme très spirituel et quelquefois éloquent, mais fort passionné, ne perd jamais de vue sa vieille rancune contre lord Palmerston ; il se la rappelle en face de Misitra ou lorsque, vêtu d’une robe de chambre perse, il prend son thé dans un bocage sur les bords de l’Ilyssus.
On voit bien que l’excentricité anglaise ne fait faute à pas un de ces
- ↑ Days and Nights in the East, 2 volumes, 1845.
- ↑ A Journey from Naples to Jerusalem, by Dawson Borrer ; 1 vol., 1844.
- ↑ Three years in Constantinople, or Domestic Manners of the Turks in 1844, by C. White ; 3 vol., 1845.
- ↑ Personal Adventures and Excursions…, by G. P. Cameron ; 2 vol., 1845.
- ↑ The Tiara and the Turban, by W. Hill ; 2 vol., 1845.
- ↑ Visits to sacred Lands, by lord Nugent ; 2 vol., 1845.