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Roussin, le ciel est presque toujours bleu ; des vents constans règnent pendant huit mois de l’année ; pendant tout ce temps, il ne tombe pas une goutte de pluie. » En comparaison de cette mer si riante et d’un ciel si pur, soulevons le rideau des brunies épaisses qui cachent les abords dangereux de Terre-Neuve, et nous verrons les lames, charriant des glaçons, semer sans cesse de nouveaux écueils un océan que le navigateur croyait sans dangers. Sur la côte, des coups de vent terribles amènent de lamentables naufrages, engloutissent les chaloupes, cassent les chaînes, les ancres, et causent des avaries dans la coque et le gréement. Le navire, de retour en France, est obligé d’employer une partie de son gain de pêche à réparer les désastres d’une croisière pénible. Rien de semblable sur la mer d’Afrique, et, quand des vents réguliers ont favorisé la navigation, un air pur et sec protège encore les produits de la pêche[1]. Enfin M. Berthelot affirme, et pour notre compte nous le croyons sans peine, que cette mer si belle est remplie de poissons bien supérieurs par leur nombre et la délicatesse des chairs aux espèces que nourrissent les côtes de l’Amérique. Il faut d’ailleurs le reconnaître, l’avenir des grandes pêcheries, l’intérêt des peuples maritimes, exigent impérieusement que le travail et la dévastation ne se portent pas toujours sur un même point. Cette récolte annuelle faite sur la côte d’Amérique peut amener l’émigration des morues. Le poisson, toujours attaqué sur le banc de Terre-Neuve, finirait par chercher des plaines inabordables, comme la baleine, qui, réfugiée maintenant dans les glaces du pôle sud, couvrait, il y a peu de temps encore, les mers du Spitzberg, où les pêcheurs en prirent 1,864 dans l’année 1697.

Telle est la nouvelle source de richesses que présente le Sénégal. La belle rade de Gorée et sa station militaire offrent aux navires pêcheurs tous les secours dont ils pourraient avoir besoin. Les baies de Han et de Dakar seraient des mouillages excellens pour les travaux de préparation du poisson ; les bâtimens trouveraient à profusion sur la côte du bois et de l’eau, les plages de sable permettraient d’établir des séchoirs naturels ; la population noire, attirée par un modique salaire, se prêterait à la manipulation qu’elle pourrait faire sans fatigue. Le tabac, la guinée, la verroterie, articles qui servent à payer les laptots, se trouvant déjà dans nos comptoirs, le bâtiment partirait de France avec un chargement pour la colonie, et non sur lest, comme pour Terre-Neuve, et il ferait ainsi deux spéculations en un seul voyage.

Nous sommes dans un siècle où l’activité incessante du commerce, les progrès de la civilisation et de l’industrie, les besoins des classes pauvres, veulent des entreprises nouvelles. Quand la population augmente, les masses cherchent autour d’elles d’autres champs à exploiter. La mer offre aux spéculateurs

  1. Des scares et des cabrillas sont expédiés en paquets à la Havane après avoir été simplement exposés à l’air quelques jours.