Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/533

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aucune répugnance d’entrer en communication, par suite de cette disposition où les Grecs furent toujours de ne voir dans les dieux des peuples étrangers que des divinités grecques sous un autre nom. Dans un autre mémoire, j’ai développé les effets de cette disposition remarquable, que je me contente d’indiquer ; mais je dois encore relever ici trois circonstances importantes qui me paraissent être un résultat de l’influence étrangère en Égypte.

La première est le creusement du canal des deux mers, entrepris par Nechos. Ce fils de Psammitichus, pour entrer dans les vues de son père, voulut étendre par le commerce les ressources de l’Égypte. Les communications, devenues plus fréquentes avec les étrangers, agrandirent ses idées et le firent songer à des mesures auxquelles ses prédécesseurs n’avaient jamais pensé. Tel est le projet de joindre la mer Rouge avec le Nil, au moyen d’un canal[1]. Une tradition, qui nous a été conservée par Aristote et Strabon[2], en attribuait la première idée à Sésostris, tradition qui doit avoir été inventée après coup, comme beaucoup d’autres relatives à ce prince, car Hérodote n’a eu nulle connaissance de cette tradition : il dit au contraire que Néchos fut le prunier qui entreprit de creuser ce canal ; Diodore de Sicile dit expressément la même chose[3].

Il serait bien étrange que, si le grand Sésostris eût été l’auteur de cette entreprise, Hérodote n’en eût point entendu parler, que les Égyptiens, si jaloux de la gloire de leurs anciens rois, si fiers de leur antique prospérité, n’en eussent rien dit à cet historien. La tradition doit donc lui être postérieure. Quant à la cause qui obligea Nechos de suspendre les travaux commencés, ce fut, selon Hérodote, la réponse d’un oracle qui avertit le roi qu’il travaillait pour le barbare. Cela veut dire, je pense, que les prêtres égyptiens ne voyaient pas de bon œil une opération si nouvelle, si contraire à l’esprit égyptien, et qui avait peut-être à leurs yeux le grave inconvénient d’avoir été conseillée par des étrangers. Cette cause n’a rien de commun avec celle qui, selon Aristote et Strabon, avait empêché Sésostris d’exécuter son projet, à savoir la différence du niveau des deux mers. C’est là une raison scientifique à laquelle on ne songeait pas encore sous Nechos.

La différence de niveau ne fut probablement connue et constatée

  1. Dans mon article sur le Canal des deux Mers (Revue du 15 juillet 1840), on trouvera l’histoire complète du canal jusqu’aux Arabes. Ici je me borne à l’entreprise de Néchos.
  2. Arist., Meteorol., I, 14, p. 548, E.-Strab., XVII, p. 804.
  3. Herod., 11, 158. -Diod. Sic., I, 33.