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carrières du mont Claudianus, dans le désert à l’est de l’Égypte[1]. Ces travaux furent au moins égalés par celui que les Ostrogoths exécutèrent à Ravenne au tombeau de Théodoric. Le toit monolithe de ce tombeau a été taillé dans un bloc de pierre d’Istrie qui pesait, selon les calculs de Soufflot, plus de 2,300,000 livres. En supposant qu’il eût été évidé dans la carrière même, autant qu’il le fallait pour en diminuer le poids sans qu’il courût le risque de se briser, on trouve qu’il pesait au moins 940 milliers lorsqu’il a été transporté des carrières de l’Istrie à travers le golfe Adriatique, amené dans les environs de Rayenne, près du tombeau, et élevé sur les murs de face à 40 pieds de hauteur[2], c’est-à-dire à une élévation trois fois plus grande que celle des piédestaux sur lesquels sont placés les colosses de Thèbes. Assurément ni les Grecs ni les Romains, encore moins les Ostrogoths, ne possédaient les puissans engins dont disposent les modernes ; tout annonce cependant qu’ils étaient plus avancés que les Égyptiens en mécanique.

Je suis étonné autant que personne de la patience et de l’adresse que ceux-ci ont déployées en ces occasions ; mais j’ai toujours été fort éloigné de leur attribuer, comme on l’a fait souvent, une mécanique aussi perfectionnée, pour le moins, que celle des modernes. S’ils avaient eu de telles ressources, les Grecs en auraient eu connaissance, eux qui, depuis Psammitichus, parcourant librement l’Égypte, furent les témoins des immenses travaux de ce prince et de ses successeurs. Or, que la mécanique des Grecs fût encore à cette époque dans l’enfance, cela résulte du moyen grossier qu’employa Chersiphron, l’architecte du premier temple d’Éphèse, commencé au temps de Crésus et d’Amasis[3]. N’ayant point de machine pour élever les énormes architraves de ce temple à la grande hauteur où elles devaient être portées, il fut réduit à enterrer les colonnes au moyen de sacs de sable[4] formant un plan incliné, sur lequel les architraves étaient roulées à force de bras. Ce passage de Pline est une autorité historique en faveur de l’usage que les Égyptiens eux-mêmes faisaient du plan incliné pour porter les lourds fardeaux à un niveau élevé, car il est impossible que s’ils avaient eu un moyen plus perfectionné et moins pénible, les Grecs de ce temps ne l’eussent point connu. C’est à l’aide de ce procédé

  1. Voyez mon Recueil des Inscriptions grecques de l’Égypte, t. I, p. 66.
  2. Soufflot, cité par Caylus. (Acad. des Inscriptions, t. XXXI, hist., p. 39, 40.)
  3. Ce synchronisme résulte pour moi de ce que, selon Hérodote (I, 92), Crésus avait fourni la plupart des colonnes de ce temple.
  4. Plin., XXXVI, 21 (14).