Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/559

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et l’ambassadeur Stormond. C’était une beauté, ou plutôt la beauté de son temps, ce qui ne prouve pas qu’elle fût la plus belle. Enfin la mode l’avait adoptée, et cet attrait charmant, le ton du monde et la bonne humeur, la placèrent au rang des idoles. Elle ne se gâta pas au milieu de l’adoration générale, et ne devint ni pédante comme cette spirituelle lady Montagu, ni écervelée comme la duchesse de Kingston, ni folle d’amour comme la pauvre miss Howe, dont vous pouvez lire dans les journaux du temps la pathétique histoire ; reine d’une saison, qui mourut le cœur brisé, et ne put abriter son repentir et son amour dans la cellule de Mlle de La Vallière. Gay, Pope, Voltaire, lord Chesterfield furent les admirateurs constans de lady Hervey, qui eut bientôt occasion de connaître la France, et de s’y plaire. Elle était, dit Chesterfield, « l’essence de tout ce qui est aimable, » et, malgré les hommages nombreux dont on l’environnait quand elle n’était encore que Marie Lepel, demoiselle d’honneur de la princesse de Galles, elle trouvait cette société, demi-puritaine et demi-débauchée, bien bruyante dans ses goûts, bien violente dans ses plaisirs.

La dynastie des Nassau avait corrigé la licence des courtisans de Charles II ; la brutalité était restée. « Je me rendis en bateau à Hampton-Court, dit Pope dans une de ses piquantes lettres si vivement et si nettement écrites, n’ayant pour escorte que ma seule vertu : elle ne réussit point à me cacher à tous les yeux ; le prince de Galles m’aperçut suivi de ses demoiselles d’honneur qui revenaient de la chasse. La belle vie ! Déjeuner avec du jambon de Westphalie ; monter un cheval de louage, et lui faire sauter ravins et haies ; revenir à midi avec la fièvre et le front marqué, ce qui est mille fois plus triste, d’un sillon pourpre imprimé par un chapeau trop étroit ; voilà des préparations excellentes pour faire de bonnes femmes de chasseurs, prolifiques créatrices d’une multitude de marmots gras et roses. A peine a-t-on essuyé la transpiration dont on est couvert, on attend une bonne heure chez la princesse, dans un grand appartement froid, et l’on babille en prenant un rhume ; puis à dîner, comme dit Shakspeare, avec ou sans appétit, et jusqu’à minuit, bâiller, rêver ou travailler. Un ermitage dans les bois, avec un pigeonnier par derrière et une montagne en perspective, est plus agréable en vérité. Miss Lepel (lady Hervey) en est convenue avec moi ; et ce qui prouve, son ennui profond, c’est que nous nous sommes promenés trois ou quatre heures ensemble, au clair de la lune, sans rencontrer personne que sa majesté qui donnait audience au grand chambellan sous le mur du jardin. »

La demoiselle d’honneur mariée vint en France, y resta quelque