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LIMOËLAN.

Vous me faites l’honneur de m’appeler auprès de vous en des intentions que je connais ou que je devine ; j’oserai vous avouer que ma conscience me défend de m’y conformer. Il ne m’appartient pas d’entrer en discussion avec un père respecté, que je crains déjà de trop affliger ; mais la cause qu’il défend ne me paraît plus la meilleure. S’il faut le dire enfln, puisque c’est ma seule excuse, je suis républicain, prêt à verser mon sang pour des principes sacrés où je vois l’unique salut du monde. Je dois à la patrie l’emploi des connaissances qu’elle m’a données. L’Europe entière nous attaque ; c’est contre l’Europe que je tirerai l’épée. On m’offre une lieutenance d’artillerie au sortir de l’école, et j’espère, les choses étant ainsi, que vous me conseillerez de l’accepter. Si, malgré cet aveu que je n’ai pu retarder, vous me permettez d’aller vous serrer dans mes bras, tous mes vœux seront comblés. Quoi qu’il advienne, veuillez, cher et noble père, me tenir pour votre tendre et respectueux fils,

« Hercule de L. »

Par le retour du courrier. Hercule reçut ces quelques mots :

« Vous n’avez plus aucun droit de vous présenter à La G…, si ce n’est à titre d’ennemi. J’espère, pour vous, ne vous y revoir jamais. »

Hercule s’était abusé sur les suites d’une pareille déclaration. Déçu par l’absence, par le monde qui l’entourait, il s’était figuré, dans une illusion assez ordinaire, que les convictions contraires s’affaiblissaient de toutes parts ; il comptait d’ailleurs auprès de son père sur l’effet de sa franchise et de sa droite intention. La lettre du comte le rappela durement à la vérité ; il y reconnut trop le caractère paternel et son inflexibilité véritable pour essayer de répondre. Très touché, très combattu pourtant, il s’ouvrit de ses chagrins à Malseigne, et celui-ci ne manqua point d’en tirer avantage pour jeter tout-à-fait Hercule dans ses projets ; il ne lui montra dans cet événement qu’un nouveau sacrifice à faire à la cause de la liberté, et ce stoïcisme républicain était tout propre à séduire le noble cœur du jeune Limoëlan.

Quant au changement de ses opinions, il s’explique aisément après ce qu’on a dit. Sa jeunesse, des séductions de tout genre, sa vive amitié pour Malseigne, tout y avait contribué, et peu de temps avait suffi pour dévouer aux théories républicaines l’énergique fidélité de ce vieux sang royaliste et breton. Cependant il refusa long-temps d’entrer dans la conjuration de Malseigne, uniquement retenu par des