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LIMOËLAN.

mais pour quelle autre cause et sous quel drapeau ! Livré à ces déchiremens et comptant bientôt y mettre un terme, il tressaillait malgré lui d’un frisson fiévreux, glacé par l’air froid du matin, après cette nuit de fatigues.

Tout à coup il crut entendre un léger bruit dont l’éloignement et la durée le mirent en défiance. Il s’avança vivement en séparant de la main les ramées épineuses, et franchit assez tôt ce fourré de buissons pour voir, à portée de pistolet, la flamme d’un coup de feu ; le soldat en vedette tourna sur lui-même, et tomba sans pousser un cri. L’explosion retentissante fut suivie de cris d’alerte et d’une courte fusillade des sentinelles qui se repliaient. Aussitôt éclatèrent des hurlemens sauvages qui troublèrent le capitaine lui-même, et dont la nouveauté ne manquait jamais son effet. Les chouans attaquaient. Hercule, qui par un hasard des plus heureux avait reconnu la direction de cette attaque imprévue, fit à la hâte filer sa troupe, qui semblait fuir, jusque sur la lisière du taillis, où il eut le temps de la mettre en ordre en l’adossant dans une position avantageuse qui permettait de reprendre la défensive. Les cavaliers, cachés derrière un bouquet de bois qui faisait saillie, eurent ordre de demeurer immobiles jusqu’à nouvel ordre, assurant les derrières du détachement et offrant en dernière ressource une réserve que l’ennemi peut-être ne connaissait point.

Les assaillans, par un trait caractéristique de leur tactique, suivirent sans ordre la marche des bleus à travers le bois en tiraillant avec les mêmes cris. Ce genre d’attaque était fort dangereux en ce que, se précipitant sans ordre et de tous côtés, et servis par tous les accidens du terrain, arbres, pierres, buissons, d’où ils tiraient à couvert, ils forçaient bientôt la troupe la mieux disciplinée à rompre ses rangs, à se débander comme eux jusqu’à se battre corps à corps. Dans une telle mêlée les paysans, sans bagages, lestes, infatigables et accoutumés au terrain, avaient ordinairement l’avantage. Ils s’éparpillèrent de la sorte à travers les arbres et sur tous les points, divisant le feu de la troupe et ripostant de leur côté par une fusillade irrégulière, mais bien dirigée. Bientôt, ne voyant nulles traces du piquet de cavaliers qu’on leur avait signalé, et jugeant la troupe assez ébranlée, ils s’élancèrent sur le terrain découvert qui la séparait d’eux, en poussant leurs cris ordinaires. La mêlée devint très chaude. Ce fut alors que les cavaliers, sur l’ordre du capitaine, débouchèrent l’un après l’autre, ce qui doubla leur nombre en apparence, et cette diversion vint à propos, car la compagnie rompue était fort inférieure, et l’on se battait