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gravit le chemin qui tourne autour de la grande tour, et bientôt voit une faible lumière qui le retient immobile, palpitant de joie, de crainte, de curiosité : c’était la maison de Langevin, dont il n’était plus qu’à vingt pas, ayant plus abrégé son chemin qu’il ne croyait. La lune, glissant en cet endroit sur le toit de la loge, laissait dans l’ombre l’étroite façade où brillait la faible lumière qu’il avait vue. Il s’arrêta, respirant à peine, combattu par la crainte et l’envie de courir embrasser Langevin. Bientôt il entend les grognemens d’un chien qui le font tressaillir, et puis des aboiemens. C’était le vieux Sultan, le chien de son père. La porte de Langevin s’ouvrit dans l’obscurité ; Hercule, n’osant bouger, se dissimulait de son mieux devant un amas de buissons, cherchant à se confondre avec le feuillage. Langevin, qui était sorti, demeura un moment immobile dans l’ombre ; puis, guidé par le chien qui frétillait en jappant, il fit quelques pas son fusil à la main, en disant : Qui êtes-vous là ? Hercule, voyant le brave homme le coucher enjoué, courut au-devant de lui :

— Arrête ! arrête ! Langevin, c’est moi !

Langevin, à ce cri, s’arrêta sans baisser son arme, perclus de frayeur et d’étonnement. Hercule, en deux sauts, fut auprès de lui, et le prit dans ses bras.

— C’est vous, monsieur Hercule, ou si, c’est quelque mauvaise apparence qui abuse de moi ?

Il faisait en même temps force signes de croix.

— Eh bien ! j’ai failli vous tuer. Comme Langevin est mon nom, je vous aurais tué.

— Mon père est-il à Lagrange ? lui dit Hercule.

— En tout cas, il n’en est pas loin.

— Mais on dit qu’il est arrêté.

— N’en croyez rien.

Puis, rabattant son arme et lâchant ses paroles une à une avec cet air hébété qui marque la plus vive émotion des paysans :

— Mais c’est égal, voyez-vous, vous êtes tout de même perdu. Entrez vite chez nous et fermons ; il n’y a point de sûreté ici pour vous.

— Je le sais, dit Hercule.

— Entrez, et fermons.

Langevin l’entraîna dans sa maison avec des précautions qui montraient son effroi, et comme prêt à le défendre. Quand ils furent entrés, le paysan, jetant les yeux sur l’uniforme du capitaine à la lueur de la chandelle :