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LIMOËLAN.

ment s’étant exécuté sans bruit, le capitaine encouragé se traîna d’un pilier à l’autre jusqu’au plus près de la compagnie. Là, retenant son souffle, il prêta l’oreille et fut troublé d’abord par une des voix qu’il entendait ; mais la singularité de ce qu’il voyait l’empêcha de s’attacher au sens des paroles qui frappaient inutilement son oreille, comme il arrive au théâtre, où la pompe des décors et les costumes détournent d’abord l’attention du spectateur. Enfin il tomba tout à coup dans l’excès de la surprise et de l’épouvante en reconnaissant le principal personnage de cette scène, dont il put voir alors la disposition.

Sur une estrade qui jadis avait servi sans doute à exhausser quelque rang de stalles était une longue table où siégeaient trois hommes. Autour de ceux-ci se tenaient assis ou debout d’autres hommes, au nombre d’une vingtaine, avec différons costumes de paysans et de matelots, inégalement amassés en cercle sous des lampes dont les reflets rougeâtres faisaient briller leurs armes. L’un de ces hommes, au milieu d’un groupe, tenait près d’une lumière un paquet de papiers cachetés qu’il ouvrait et lisait les uns après les autres. C’était le débit monotone de cet homme que le capitaine avait entendu de loin. Celui-ci n’était pas encore revenu de son saisissement quand le lecteur s’arrêta : il s’ensuivit un mouvement confus, où l’on pouvait saisir des marques d’approbation ; mais tout à coup le silence se rétablit, un des premiers personnages reprit la parole, et si le capitaine eût refusé d’en croire ses yeux, cette voix, qui le remua jusqu’au fond des entrailles, lui eût prouvé qu’il ne rêvait point. Cet homme était M. le comte de Limoëlan en personne. Rendu à lui-même. Hercule entendit des discours qui lui firent juger la nature des projets qui s’agitaient dans cette assemblée.

— Nous sommes informés, disait le comte, qu’il a transpiré jusqu’à la police de Paris quelques vagues soupçons des opérations qui s’apprêtent sur les deux rives de la Loire. Un détachement sous les ordres d’un lieutenant Simon a passé la rivière hier pour surveiller et prévenir les mouvemens qu’on redoute, et, d’autre part, une compagnie stationne sur l’autre rive, en observation, sous le commandement d’un jeune officier du nom de Limoëlan.

La voix du comte, non plus que son visage de bronze, ne distinguèrent point ce nom d’un autre par la plus légère altération ; mais Hercule, trompé peut-être par sa propre émotion, crut s’apercevoir qu’il produisait une sensation légère parmi les hommes de cet auditoire. Il fut surtout fort étonné qu’on sût d’avance où était sa compagnie ; mais il ne pouvait croire ce qu’il venait d’entendre du lieute-