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Quelques voix s’écrièrent dans la foule : Non ! non ! et ces mots furent mêlés d’applaudissemens qui semblaient involontaires.

— Qu’on écarte ce peuple ! s’écria le commandant, et, tandis que les factionnaires refoulaient les curieux, il se retourna d’un air agité vers les officiers. On parla chaudement et à voix basse.

— J’ai des ordres pressans, dit le commandant ; nous avons déjà mis trop de lenteur. On veut une exécution immédiate et sans cérémonie, sans jugement ; je suis fort embarrassé.

Les officiers s’entretinrent avec vivacité, après quoi le commandant se retourna :

— Limoëlan, vous êtes condamné à la peine de mort. Je prends sur moi d’attendre pour l’exécution l’arrivée de l’adjudant-général. Sergent, qu’on emmène cet homme et qu’on le garde à vue.

Les tambours couvrirent l’agitation dont furent suivies ces paroles. Hercule fut reconduit dans la salle qu’il occupait, et, comme il souffrait de sa blessure et qu’il était très faible, il prit quelque peu de nourriture qu’on lui avait apporté. À la fin du jour, dès qu’on le laissa seul, il courut à la fenêtre, d’où l’on voyait sur les coteaux voisins les dernières lueurs du soleil s’éteindre dans un ciel noir ; de là l’on apercevait Laroche, une métairie située sur la hauteur de l’autre côté de la vallée, et d’où devait partir le signal des conjurés.

Hercule connaissait son père, et la force de ses résolutions le faisait trembler. Il frémissait des malheurs qui pouvaient éclater ; mais, d’autre part, ses révélations envoyaient le comte à l’échafaud, et il ne se croyait pas le maître des secrets qu’il avait surpris. Quant à sa vie, il n’y songeait même point. Il demeura long-temps la tête appuyée aux barreaux, déchiré par ces combats. Le jour étant tout-à-fait tombé, il tira sa montre, la fit sonner dans l’obscurité, et s’assura que dans dix minutes tout serait décidé. Dans cette anxiété, il tenait les yeux fixés sur Laroche qu’il avait peine à distinguer dans la pâle clarté du ciel. Il crut bientôt apercevoir une faible lumière sur le fond noir du coteau. Peu après, une traînée de feu s’évanouit sans bruit dans les airs : c’était la première fusée, il en fallait deux pour le signal. Hercule respirait à peine. Après quelques secondes, qui lui parurent un siècle, une lueur sinistre annonça la fusée fatale, ses jambes fléchirent, et il allait quitter la fenêtre quand il vit une troisième fusée monter aussitôt après la seconde. Il ne se rappelait plus ce dernier signal ; mais, assuré que l’exécution serait marquée par deux fusées, il vit là positivement un changement qui ne pouvait être