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les plus tendres, et voyant tout à coup leur sollicitude déroutée, se décidèrent à retirer leur enfant. L’hospice bénéficia ainsi d’une diminution dans ses dépenses. Ces minces avantages matériels ne sont-ils point balancés par d’autres inconvéniens moraux ? Nous voulons croire que les transports ont été effectués avec tous les ménagemens convenables ; on a choisi le moment de la belle saison ; on n’a déplacé que les enfans valides, dont l’allaitement était terminé depuis six semaines au moins. Tout cela est fort bien pour prévenir les accidens mortels ; mais a-t-on aussi ménagé le cœur des nourrices et l’avenir des enfans ? L’état ne doit pas calculer uniquement dans les secours aux enfans trouvés les soins qui conservent l’existence : un enfant ne vit pas seulement de lait : il lui faut en outre de la tendresse, des affections qui veillent autour de son berceau. Le déplacement détruit tout cela. Un lien commençait à se former entre ces enfans délaissés par leurs véritables parens et la famille adoptive que l’état leur a donnée : ce lien moral, le seul qui puisse exister pour eux, vous le brisez. Les premières nourrices avaient appris à aimer leur nourrisson ; ce nourrisson était presque devenu pour elles un enfant : on le leur enlève. Et cet enfant déplacé, où va-t-il ? Exilé si jeune sur la terre, il voit changer déjà au-dessus de sa tête le ciel qui l’a vu naître et grandir. Nous savons bien qu’une autre nourrice, un autre toit va le recevoir ; mais on ne transporte pas ses affections comme son domicile. Cet enfant s’était fait une famille, il commençait à tenir par des attaches mystérieuses au sein qui lui versait sa nourriture, et vous le jetez entre les mains d’une femme inconnue, pour laquelle il n’est plus qu’un étranger. Combien faudra-t-il de temps pour que ce tendre arbrisseau, transplanté dans une nouvelle terre, reprenne racine ? L’amour naît d’un regard, d’un souffle, d’un mouvement de la nature : il n’en est pas de même de l’attachement.

Le système des échanges est fatal aux enfans : il est quelquefois inutile pour dérouter les recherches des mères. Plus d’une a en effet réussi à suivre, malgré la distance, les traces qu’on voulait leur dérober. De l’avis même des partisans du système, les déplacemens, pour atteindre le but qu’on se propose, auraient besoin d’être souvent renouvelés. Or, nous ne craignons pas de le dire, le déplacement souvent reproduit serait une mesure inhumaine, qui punirait les enfans pour des fraudes dont ils seraient les innocentes victimes. Des hommes graves, des économistes de bonne foi, des médecins, qu’avait d’abord séduits l’idée de dépayser les nourrissons, ont renoncé à cette idée, après avoir été témoins des scènes douloureuses qui accompagnent