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connus en France, et je sens tout l’avantage qu’il y aurait pour ma patrie à les mieux connaître. Voilà ce qui m’a déterminé à ne pas laisser cette chaire plus long-temps muette. Je me suis dit : L’affection qui m’a soutenu dans mes voyages et mes études saura bien me soutenir encore dans cette carrière nouvelle, inattendue pour moi, et où je m’engage peut-être avec témérité, mais non pas du moins sans dévouement.

J’aurai besoin, messieurs, de toutes vos sympathies pour conserver à cette chaire une partie bien faible de la renommée qui l’entoura à sa naissance. Grace à vous, cette renommée fut grande. Le retentissement des premières paroles sorties de cette enceinte fit créer presque aussitôt, dans diverses capitales du continent, sept autres chaires analogues à celle-ci. -Vous désirez, je pense, savoir où sont ces auditoires, attirés comme vous par l’attrait de nouveauté des questions slaves ; il ne peut vous être indifférent d’apprendre quel est le caractère spécial de chacun de ces cours. La marche qu’ils suivent peut, en effet, jusqu’à un certain point, nous éclairer nous-mêmes sur la marche à suivre ici.

Parmi les sept chaires de langue slave dérivées, pour ainsi dire, de celle de Paris, il y en a trois qui pourraient, avec le temps, acquérir une haute importance : ce sont celles de Berlin, de Pétersbourg et de Moscou. Un jeune érudit bohême, M. Cybulski, a été chargé d’initier le public berlinois aux mystères de la slavistique. On regrette que, dans sa timidité, M. Cybulski réduise presque son cours à un simple exposé de grammaire comparée : il paraît craindre, et non à tort peut-être, d’attirer sur son enseignement slave, au milieu de cette capitale allemande, une popularité dangereuse. A Pétersbourg, le savant professeur Preis semble également, quoique pour d’autres motifs, préoccupé de la crainte de faire du bruit. La rare étendue de ses connaissances philologiques ne l’aide qu’à lui faire trouver plus facilement les moyens d’éluder les faits généraux et les grandes questions littéraires du slavisme. Le programme de son cours embrasse quatre années. Au lieu d’offrir des tableaux d’ensemble, M. Preis marche lentement d’une peuplade à l’autre, sans paraître admettre chez les Slaves d’autre nationalité que celle des Russes. Commencé par des recherches sur les divers dialectes des tribus méridionales intermédiaires entre l’Italie et la Grèce, ce cours expose maintenant l’état des littératures slovaque, bohème et polonaise. Il se terminera par une grammaire générale des cinq langues de la race slave. On peut attendre du savant russe un monument durable de philologie comparée. M. Preis est peut-être, à cette heure, le premier des slavistes.

Le professeur de la chaire de Moscou, M. Bodianski, se signale par un esprit tout différent ; il représente la partie enthousiaste, inspirée, de l’érudition ; son programme reproduit d’ailleurs à peu près les divisions du cours de M. Preis : c’est une revue successive des différentes langues slaves, en commençant par celle des Bohèmes ; mais, à ces langues, M. Bodianski rattache la tradition vivante, le chant populaire, l’histoire nationale ; il s’applique même à constater autant qu’il le peut l’état actuel de chaque peuple. C’est à