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la fois le plus pratique et le plus ardent des slavistes ; seulement, en vrai Moscovite, il voudrait absorber tous les Slaves dans la nationalité russe.

La Russie possède encore deux autres chaires de littérature slave aux universités de Jarkof et de Kasan. À Jarkof, M. Sreznievski, laissant de côté les rapprochemens philologiques, appelle toute l’attention de ses auditeurs sur la nationalité et la littérature populaire des différens pays slaves. Quant à M. Grigorovitch, le professeur de Kasan, il se place à un autre point de vue. Son programme de 1844 annonce textuellement que « les premières leçons seront consacrées à tracer les frontières géographiques de chaque dialecte slave, et à raconter l’histoire de la formation de chacun de ces dialectes depuis les temps primitifs jusqu’au XIVe siècle. » Le professeur passera ensuite à la théorie de la langue sacrée, puis des langues serbe, carinthienne, bohême, lusacienne et polonaise, rattachant à cette grammaire comparée des observations théoriques sur la structure générale des langues humaines. À cette partie philologique succédera l’histoire littéraire slave, d’abord celle du moyen-âge du XIe au XVe siècle, puis celle de l’époque de transition (XVe et XVIe siècles), et enfin celle des temps modernes jusqu’à nos jours. Quoique sentant un peu l’hyperbole russe, le plan de ce cours est grand et logique ; nous apprendrons bientôt comment M. Grigorovitch tient ses promesses.

Il faut l’avouer, le cabinet de Pétersbourg, par l’intermédiaire de ses curateurs, donne à ces quatre professeurs un programme large et libéral. Il les autorise à traiter non seulement des langues et des littératures, mais encore des différentes nationalités slaves sous les points de vue les plus divers. Leur ethnographie, leur histoire, l’état de leur pays et même de leur législation, tout rentre dans ce vaste cadre.

Ce n’est pas seulement la Russie qui se préoccupe du slavisme : l’Allemagne savante s’en préoccupe également. On enseignait déjà depuis long-temps la langue bohême à l’université de Vienne. Le gouvernement autrichien vient de créer deux chaires nouvelles pour l’étude de la même langue. Les élèves de l’Institut polytechnique assistent à l’un de ces cours ; l’autre se fait à l’académie Joséphinique. Le programme tracé en 1844, avec l’autorisation du cabinet impérial, par le professeur de cette dernière chaire, M. Hromatko, offre les plus grandes analogies avec le programme moscovite de l’université de Kasan.

Les mêmes tendances se manifestent dans le nord germanique ; à Leipzig le savant M. Jordan, à Breslau M. Tchelakovski, tout comme M. Cybulski à Berlin, s’efforcent de rivaliser avec les professeurs russes. On ne peut même guère douter qu’ils ne l’emportent sur ces derniers pour l’érudition malheureusement ils ont à lutter contre la disposition secrète de leurs auditoires allemands, qui, dans un esprit de rivalité jalouse, ne laisseraient peut-être pas impunie l’expression d’une pensée franche et libre sur le passé et l’état présent des littératures slaves. Ainsi forcément restreints au domaine philologique, ces professeurs se renferment dans des études comparatives