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en chef des troupes républicaines, ou plutôt il avait applaudi aux défaites des mamelouks, qui venaient de perdre les plus belles provinces de l’Égypte. Qu’Abd-el-Rahmân se réjouit de voir tomber la puissance de ces guerriers turbulens et sans foi, cela s’explique ; mais combien de temps auraient duré ses relations amicales avec une population européenne maîtresse du pays, voilà ce qu’il est difficile de savoir. Toutefois Bonaparte mettait à profit le bon vouloir du sultan ; en promettant aide et protection aux populations noires engagées dans des entreprises de négoce avec l’Égypte, il s’élevait au rang de dominateur de l’Afrique et faisait reconnaître sa suprématie jusque sous l’équateur. Les deux mille esclaves qu’il demandait par un prochain envoi, c’étaient deux mille soldats faciles à nourrir, dévoués à leur maître, n’ayant rien à redouter du climat africain, et dont il eût pu tirer un grand parti, si l’occupation se fût prolongée. Bien loin que la guerre interrompît les échanges accoutumés entre les deux peuples, la présence des Français semblait encourager le sultan à diriger plus fréquemment vers le Nil ces caravanes périodiques qui, assurait-on alors, d’après des renseignemens positifs, se composaient parfois de quinze mille chameaux.

Ceci se passait en 1799 ; c’était à peine si on connaissait exactement la position géographique de ce royaume de Dârfour. Un voyageur anglais, W.-G. Browne, y avait pénétré quelques années auparavant, et ses observations, bien qu’incomplètes sur divers points, étaient les seules qu’un Européen eût recueillies par lui-même ; jusqu’à ce jour, elles sont les dernières. Desservi auprès du sultan par un de ses compagnons qui le représentait comme un espion dangereux, Browne fut attiré jusqu’à Kôbeyh, capitale du royaume ; on l’y garda à vue. En vain sollicita-t-il, pendant deux années, la permission de quitter le pays : toute la population se retirait avec effroi d’un infidèle dont la couleur, disait-on, était un signe de maladie, une marque de la réprobation divine. Cette situation désespérée causa au voyageur un profond chagrin, et bientôt une fièvre qui le réduisit à la dernière extrémité. Ces tristes loisirs, ces jours de douleur perdus pour l’étude, il les employa à apprivoiser deux jeunes lions. Enfin, dépouillé de tout ce qu’il avait apporté avec lui, Browne put se joindre à une caravane qui le ramena, après quatre mois de voyage, dans la Haute-Égypte. Après lui vint l’expédition française ; sous ses auspices et avec des recommandations du général en chef, partit un jeune Allemand, Hornemann, qui périt en chemin. C’était alors que Bonaparte et le sultan du Dârfour échangeaient quelques lettres, comme nous l’avons