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de ce genre à s’imposer, et bien peu de ces grandes difficultés à vaincre. Musulman de naissance, fort instruit dans ce qui touche à la foi, à la législation, et surtout la littérature de son pays, le cheikh Mohammed-Ebn-Omar-el-Tounsy (c’est-à-dire le Tunisien) put arriver au Dârfour, résider dans ce pays pendant huit années, et y vivre en paix sous la protection du sultan Ce n’est pas à dire pour cela qu’il n’ait eu à courir aucun danger durant ses longues pérégrinations : plus d’une fois sa vie fut menacée au milieu des populations sauvages, chez lesquelles la vue d’un homme blanc réveillait les haines de race, mais la parité de croyance a été le plus souvent sa sauvegarde : si l’assassinat pouvait lui tendre des piéges comme à tout autre, du moins le fanatisme n’armait-il point contre lui le bras de vrais croyans.

Après avoir fait des études assez solides pour un musulman à Tunis, dans son pays natal, Mohammed, âgé de quatorze ans à peine, alla au Kaire, en 1803, à la recherche de son père Omar, qui s’y était fixé lui-même une dizaine d’années auparavant. Quand le jeune cheikh arriva dans la capitale de l’Égypte, Omar ne s’y trouvait plus ; il avait fait route vers le Soudan Avec cette résignation qui est la grande vertu des Orientaux, l’enfant s’achemina, conduit par un ami de son père, sur les traces de celui-ci, et arriva de cette façon au Dârfour Telles furent les causes fort simples de ce voyage remarquable, entrepris, non point dans l’intérêt des études géographiques, mais, par des raisons de famille Le voyage cependant eut des résultats utiles, parce que le jeune Tunisien s’y était en quelque sorte préparé. D’après son propre témoignage, Mohammed se mit en route pauvre d’argent et riche de science « Or, maintenant, a dit l’humble qui espère en la bonté de son Seigneur, Dieu des bienfaits, moi, Mohammed-Ibn-el-Seyd-Omar, petit-fils de Soleyman, lorsque le Très-Haut m’eut inspiré le goût des sciences arabes, je m’abreuvai à la coupe du savoir ; je méritai bientôt d’être compté au nombre des érudits et des enfans de la science… mais déjà, s’agenouillant sur moi comme un chameau, la fortune m’avait brisé, elle avait écrasé de son poids ce que j’avais de richesses en main… Dès-lors je dépensai tous mes efforts à m’enrichir de connaissances, à m’orner l’esprit de prose et de vers… » On le voit, le cheikh se fit un fonds de philosophie sur lequel il jeta la poésie comme un ornement ; aussi amassa-t-il un trésor de citations qu’il verse à pleines mains dans ses pages. Il rehaussa le tissu de sa diction avec les perles du savoir, et appela son ouvrage : L’Aiguisement