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avait habité le Sennâr, venait au-devant de Mohammed, de la part de son père, averti par une lettre de l’arrivée du jeune voyageur ; il apportait même à Ahmed-el-Badaouy de beaux présens pour le remercier des soins qu’il avait prodigués à l’enfant depuis le départ de la caravane. — Bénédiction ! s’écria El-Badaouy en voyant les cadeaux ; je les accepte !… et je les donne à mon fils que voici. — Il désignait de la main Mohammed lui-même. Ce bienfait, que le respectable Arabe ajouta à ceux dont il ne cessait de combler le jeune fils d’Omar, fut bientôt expliqué. Accusé, quelques années auparavant, près du sultan, qui punissait avec rigueur toutes les injustices, de vendre des femmes libres, et jeté en prison le carcan au cou, El-Badaouy allait périr sans la généreuse intercession d’Omar lui-même. Après avoir raconté au jeune cheikh cette touchante histoire, l’Arabe ajouta : Peut-être ai-je fait envers toi quelque chose qui acquitte un peu ma dette ; mais je ne le crois pas.

Encore tout ému de cette scène et comblé de présens, El-Tounsy partit avec son oncle. Il était à cheval, son oncle sur un dromadaire, et l’homme noir, l’ami de ce dernier, trottait sur un âne ; trois esclaves les précédaient à pied. Six jours de marche séparaient encore les voyageurs de la ville d’Aboul-Djouboul où vivait Omar. Devant la porte de celui-ci se pressaient des chevaux, des ânes, des domestiques ; c’était comme une petite cour. De jeunes filles, des esclaves noirs, accueillent les trois nouveaux venus, les félicitent sur leur heureuse arrivée, et Omar s’avance. A sa vue, Mohammed reste calme, maintenu par le respect extraordinaire que les Orientaux portent à leurs ascendans. « Je lui baise la main, dit-il, et je reste debout devant lui. Il me commande de m’asseoir, j’obéis ; un moment après, il me dit : — Quelles études as-tu faites ? Qu’as-tu appris ? — Le Coran et quelque peu de science. » Ces paroles le réjouirent, et le lendemain le père, heureux d’avoir retrouvé son fils, tua le veau gras.

Ce sont là les scènes de la vie arabe dans ce qu’elle a de plus patriarcal ; on est arrivé au Soudan[1] presque sans s’en apercevoir. Une fois établi au milieu des fils de Cham, Mohammed visite les grands, et reçoit d’eux des cadeaux qui lui font oublier l’inimitié des

  1. La dénomination générale de Soudan désigne cette vaste étendue de pays disposés sous une même zone entre le 8e et le 18e degré de latitude ; ce sont, en allant de l’est à l’ouest, le Sennâr, le Kordofâl (Cordouan), le Dârfour (Dâr-el-Four), le Ouadây, le Bâguirmeh, le Barnau, l’Adiguiz, l’Afnau, le Dàr-Toumbouktou et le Dâr-Mellâ, où réside le roi de Foullân ou Fellâtâ.