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cueilli avec tant de faveur, et, pour la première fois depuis quinze années, ils ont publiquement voté avec la majorité conservatrice sur une question de gouvernement.

Nous comprenons fort bien leur conduite, et elle était indiquée par la nature des choses. Néanmoins, si nous portions à l’avenir de ce parti un intérêt qu’il ne peut attendre de nous, mais qu’il serait naturel qu’il eût pour lui-même, nous aurions à lui faire remarquer qu’en enterrant le projet relatif à l’enseignement secondaire, ainsi que le lui demandait le cabinet, il a donné sa démission politique, et qu’il a accepté implicitement un rôle tout différent de celui qu’il s’est efforcé de jouer depuis 1830. Ce rôle, il est vrai, a été pour lui fécond en déboires infinis : il a atteint le dernier terme de sa caducité, appuyé d’un côté sur la constitution historique découverte par M. de Genoude, et de l’autre sur la déclaration réformiste rédigée par M. de Laurentie. Pendant que ses douairières continuent d’aiguiser des épigrammes surannées comme elles, sa jeunesse dorée rentre furtivement dans les salons des Tuileries, et ses hommes politiques se transforment en spéculateurs : ils consacrent aux chemins de fer et à la bourse une activité dont il leur est interdit de faire profiter l’état. En abdiquant les mœurs chevaleresques et les susceptibilités aristocratiques pour se livrer avec ardeur aux combinaisons mercantiles, ils croient sans doute donner à la société nouvelle un gage de leur retour sinon vers ses idées, du moins vers ses intérêts. Quoi qu’il en soit, les élections prochaines auront pour résultat de constater que le parti légitimiste a cessé de vivre de sa vie propre, et que l’action que ses membres sont appelés à exercer dans notre société constitutionnelle s’appliquera désormais à des intérêts très différens de ceux qui semblaient les dominer exclusivement jusqu’ici.

Dans l’état de préoccupation et de désarroi où se trouve la chambre, les questions économiques sont seules de nature à arrêter quelque peu son attention, et elles rempliront à peu près les séances d’ici au vote du budget. M. Desmousseaux de Givré a attaché son nom à une réforme dont il est à regretter que le gouvernement n’ait pas pris l’initiative ; car, si la loi relative à la substitution du droit au poids au droit par tête était émanée du ministère, des dispositions relatives au commerce de la boucherie en auraient formé le complément nécessaire. La résolution transmise à la chambre des pairs n’en est pas moins un service signalé rendu en même temps aux classes ouvrières et aux intérêts agricoles ; elle aura pour effet immédiat d’abaisser le prix de la viande dans les grandes villes, en y faisant entrer le petit bétail en concurrence avec celui que fournissaient jusqu’à présent certains arrondissemens privilégiés par la loi en même temps que par la nature ; elle aura pour conséquence éloignée, mais certaine, de développer l’élève des bestiaux dans les pays de petite culture, et d’augmenter ainsi la masse des engrais, sans lesquels aucun progrès n’est possible ; elle mettra aussi un frein à la monomanie administrative qui tend à transformer les races au lieu de les améliorer : travers déplorable que justifiait d’ailleurs l’interdiction dont