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le point où un malheureux hasard vous a jeté, vous et les vôtres, dans une série de maux quelquefois à jamais irréparables. C’est surtout aux yeux du médecin que se déroulent ces accidens de l’existence individuelle ; il sait combien de jours, combien de mois ont été enlevés à chacun par la maladie ; il sait avec quelle peine la vie a été défendue contre ces agens de destruction qui surgissent de tous côtés, de l’air ambiant, du froid, du chaud, des alimens, des peines morales et des chocs de la société ; il sait quels germes de souffrance et de ruine met dans l’organisation telle rencontre malheureuse, et, au moment où quelques symptômes fugitifs se manifestent au milieu de la jeunesse la plus florissante, il voit dans le passé de l’être ainsi menacé et dans une triste hérédité le gage d’un dépérissement prochain que trop souvent rien ne peut arrêter. Ainsi, dans ce tourbillon d’élémens incessamment transformés en matière vivante et incessamment rendus air monde inorganique, s’entre-croisent mille causes de douleur et de mort, trop inhérentes à la nature des choses pour être jamais abolies, mais qu’un emploi judicieux de nos connaissances et de nos ressources peut atténuer.

Cette atténuation (je me sers du seul mot que comporte la condition des animaux en général et de l’homme en particulier), cette atténuation est la tâche de la médecine. Justement parce que le corps vivant est modifiable, l’industrie humaine a trouvé une prise. Tant et de si grands changemens produits par le concours fortuit des élémens ont naturellement suggéré l’idée d’employer d’une façon raisonnée ces actions irrégulières. L’effet a répondu à l’espérance : si le miasme des marais provoque la fièvre, le quinquina neutralise cet empoisonnement ; si la petite vérole se communique, le vaccin, excitant une fermentation analogue, rend le corps impropre à recevoir cette contagion ; si le sable déchire les reins, un sel facilite la dissolution de ces concrétions qui causent de si cruelles douleurs. Ainsi, de même que dans le corps malade tout est jeu des affinités et des propriétés de la substance vivante, de même dans le traitement tout est action des qualités des remèdes sur les tissus et les humeurs. Et, comme il est vrai que les ébranlemens moraux produisent dans le système nerveux les troubles les plus étranges et les plus graves, il est vrai aussi que les moyens moraux ont en ce genre un empire considérable. De la sorte, rien n’échappe à l’enchaînement des causes et des effets, à la nature des actions et des réactions, et la condition qui régit le monde inorganique est aussi la condition qui régit le monde organique. Il faut donc rejeter bien loin toutes ces superstitions qui, encore aujourd’hui, troublent tant d’esprits. Je ne parle pas même des miracles et de la sorcellerie, idées surannées qui, comme les hiboux, fuient la lumière ; je parle de ces aberrations auxquelles des personnes même éclairées se laissent si