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les revers. Quand aux portes de la cité de Minerve la guerre venait brûler les moissons et les oliviers, elle n’épargnait pas les asiles de la sagesse. On les rouvrait, on faisait disparaître les ravages des armes sitôt que la paix était revenue. On eût dit que pour les Athéniens ces asiles étaient des temples que leur piété ne devait pas se lasser de relever. Comme pour expier les violences de Sylla, les plus illustres successeurs d’Auguste montrèrent pour Athènes une vénération généreuse. Adrien y fonda une bibliothèque dont la magnificence était encore rehaussée par des statues et des tableaux ; Antonin et Marc-Aurèle dotèrent richement l’enseignement de la philosophie, et ils voulurent que cet enseignement embrassât les quatre systèmes de Platon, d’Aristote, d’Épicure et de Zénon : derniers beaux jours auxquels succédèrent des épreuves cruelles et des persécutions que l’histoire n’avait pas encore connues. On vit la philosophie non plus troublée dans ses paisibles travaux par un conquérant qui sévit en passant, mais proscrite sans retour par une croyance qui se proclamait en possession de toute vérité.

Justinien était sur le trône, lorsqu’en 529 on apprit à Athènes qu’un décret impérial fermait les écoles où la philosophie était enseignée. Ainsi le dernier coup était porté à la civilisation antique, qui depuis le règne si court de l’empereur Julien n’avait guère traversé que des disgraces. Les temples étaient envahis par les moines, qui souvent excitaient la populace à jeter bas les plus belles merveilles de l’architecture. Eunape nous a raconté la destruction du temple de Serapis à Alexandrie ; il nous a montré les moines campant sur la place du Serapéum, renversant les images et les statues, objets d’une vénération séculaire, et offrant à l’adoration publique les têtes sales des martyrs chrétiens, ces nouveaux dieux de la terre, comme les appelle dans l’amertume de sa douleur le biographe païen. Les violences des chrétiens ne s’exerçaient pas seulement sur des statues ; elles arrachèrent un jour la belle et savante Hypathie de son char, et l’immolèrent sur le parvis d’une église. Une autre fois c’était Hieroclès, le commentateur de Pythagore, qu’on battait de verges pour le punir de ses opinions, de son courage de philosophe, et qui jetait son sang à la face du juge en lui criant : « Tiens, cyclope, bois ce vin, puisque tu manges de la chair humaine[1]. » N’était-ce pas parler et souffrir en héros ?

Sous le règne de Néron, un homme était entré dans Athènes pour y annoncer un dieu nouveau. Des stoïciens et des épicuriens avaient conféré avec lui et l’avaient conduit à l’aréopage, où il exposa sa doctrine, qui excita les railleries des uns, la curiosité des autres. Quelques siècles après, au nom de cette doctrine, les successeurs des philosophes qui avaient reçu Paul à Athènes étaient proscrits. Quand le décret de Justinien

  1. Suidas, Hieroclis.