Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/482

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une histoire générale de la philosophie, danger grave, car l’écrivain se trouverait ainsi sortir des conditions de son plan sans remplir celles de l’autre sujet. Ces difficultés n’ont pu échapper à M. Ravaisson, et il se croit sans doute en état d’en triompher, puisqu’il entre aujourd’hui dans une carrière nouvelle qu’il n’avait pas mesurée il y a quelques armées. L’esprit de M. Ravaisson a besoin de recueillement et de calme ; c’est par une réflexion soutenue qu’il s’anime et se fortifie. S’il continue avec lenteur son Essai sur la Métaphysique d’Aristote, loin d’être stérile, cette lenteur agrandit l’œuvre commencée. D’ailleurs, tout écrivain consciencieux peut dire comme Alceste, mais dans un autre sens :

… Le temps ne fait rien à l’affaire.

Les divisions simples et naturelles du premier volume de l’Essai ont permis à M. Ravaisson de changer de plan sans rien détruire ou regretter de ce qu’il avait fait. Le premier volume se termine par une restitution dogmatique des théories métaphysiques d’Aristote, et c’est seulement avec le second que l’histoire des successeurs du rival de Platon devait commencer. Dès les premières pages de ce second volume, la fermeté avec laquelle l’écrivain s’établit au centre des questions qui doivent y être développées témoigne qu’il en est entièrement maître. « L’école d’Aristote, dit M. Ravaisson, abandonne peu à peu l’idée caractéristique de sa métaphysique, l’acte pur de la pensée absolue. L’épicurisme retranche toute idée d’action et de puissance, et réduit tout à une matière inerte. Le stoïcisme fait redescendre dans la matière la pensée, dans la puissance l’action, et la métaphysique dans une physique nouvelle. Enfin on cherche à une hauteur supérieure à celle même de la métaphysique péripatéticienne et dans l’idée de l’absolue unité l’origine commune de la puissance et de l’acte, de la nature et de la pensée ; c’est le néo-platonisme, dernier et insuffisant effort de la philosophie grecque. » M. Ravaisson n’a pas dévié de ces lignes principales si bien tracées. Les développemens qu’il donne à sa pensée, à ses recherches, les digressions qu’il se permet, ne l’égarent pas : il marche à son but d’un pas égal, et, parvenu au terme, il se trouve avoir exécuté ce qu’il avait promis.

Il y a de la vérité dans l’appréciation des successeurs immédiats d’Aristote qui délaissèrent le principe hyper-physique de l’acte et de la pensée pure, fondement de la philosophie première de leur maître ; ils frayèrent ainsi le chemin aux doctrines d’Épicure et de Zénon. Il faut, tenir aussi compte de la disposition générale des esprits à viser en toute chose à la pratique, et à faire du souverain bien de l’homme la principale fin de la philosophie. M. Ravaisson a indiqué avec sagacité les concessions que fit en morale le stoïcisme au péripatétisme. Ses pages sur le stoïcisme sont éloquentes. Avant d’arriver au néo-platonisme,