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Voilà pour la société ; quant aux institutions, la royauté, dans sa prérogative sans limites, les recouvre et les embrasse toutes, hors une seule, les états-généraux, dont le pouvoir, mal défini, ombre de la souveraineté nationale, apparaît dans les temps de crise pour condamner le mal présent et frayer la route du bien à venir. De 1355 à 1789, les états, quoique rarement assemblés, quoique sans action régulière sur le gouvernement, ont joué un rôle considérable comme organes de l’opinion publique. Les cahiers des trois ordres furent la source d’où, à différentes reprises, découlèrent les grandes ordonnances et les grandes mesures d’administration, et, dans ce rôle général des états, il y eut une part spéciale pour le troisième. La roture eut ses principes qu’elle ne cessa de proclamer avec une constance infatigable, principes nés du bon sens populaire, conformes à l’esprit de l’Évangile et à l’esprit du droit romain. Le renouvellement des lois et des mœurs par l’infusion de la liberté et de l’égalité civiles, l’abaissement de toutes les barrières élevées par le privilège, l’extension du droit commun à toutes les classes de personnes, tel fut le plaidoyer perpétuel et, pour ainsi dire, la voix du tiers état. On peut suivre cette voix grandissant toujours à mesure que les siècles passent et que le progrès s’accomplit. C’est elle qui, durant cinq siècles, a remué les grands courans de l’opinion. L’initiative du tiers-état en idées et en projets de réforme est le fait le plus intime du mouvement social dont nous avons vu, sinon le dernier terme, du moins une phase glorieuse et décisive, mouvement continu sous d’apparentes vicissitudes, et dont la marche ressemble à celle de la marée montante que l’œil voit avancer et reculer sans cesse, mais qui gagne et s’élève toujours.


AUGUSTIN THIERRY.