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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/621

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— Je ne dis pas ; mais Bavard du moins…

— Bayard ne dansait pas.

— Il ne dansait pas, mais…

— Mais il ne jouait pas non plus, capitaine.

— Sacrebleu ! cria enfin le capitaine, si Bavard, mon parent, ne buvait pas, s’il ne dansait pas et s’il ne jouait pas, il aimait du moins, et, pour peu que vous en doutiez, mon jeune baron, je puis vous faire voir et épouser un jour sa fille naturelle, qu’on nomme Jeanne.

— Je pensais à lui quand vous m’avez tiré de ma rêverie, capitaine.

— Puisque vous pensiez au chevalier sans peur et sans reproche…

— Sans peur, oui… repartit impétueusement des Adrets.

— Et sans reproche, s’il vous plaît.

— Sans reproche, non !

— Et que lui reprocheriez-vous, mon jeune baron ? — D’avoir aimé.

— Je vous rendrai à vos parens, dit le capitaine en entendant cette bizarre réponse et en s’éloignant de son protégé, dont il lui était impossible au XVIe siècle de comprendre les mœurs.

Le capitaine Charles Alleman se garda bien de renvoyer le jeune baron à ses parens ; il préféra le mener avec lui à Naples, quartier-général de l’armée française, et où le prince d’Orange vint, à la tête de onze mille cinq cents hommes, menacer Lautrec. C’étaient onze mille cinq cents pillards allemands, espagnols et italiens, tantôt braves jusqu’à la frénésie, tantôt lâches jusqu’au délire, mais toujours assassins et voleurs. Lautrec et Laval moururent dans cette campagne, et des Adrets passa dans la compagnie de Guyot de Maugiron.

Le jeune baron des Adrets ne sortit, en 1532, de la compagnie de Guyot de Maugiron qu’en prenant le titre de guidon dans celle de Claude d’Urre, seigneur Dupuy-Saint-Martin. On sait que le grade de guidon répond à celui de lieutenant. Il servit trois ans sous ce nouveau chef. Claude d’Urre étant mort, George d’Urre le remplaça ; mais des Adrets, irrité de l’injustice que lui faisait ce dernier en ne lui conservant pas sa lieutenance, se retira en Dauphiné, dans son château de la Frette. Il avait vingt-six ans quand il revint dans sa famille.

On est peut-être curieux de connaître dans quelles proportions la nature avait jeté cet homme formidable, destiné à jouer un si grand rôle dans l’histoire des guerres du midi, et par quel aspect il se distinguait de ses contemporains. Le baron des Adrets avait la taille, le développement, la force d’un géant. Ses os étaient de fer comme la cuirasse clouée sur son maigre corps ; son visage, long et rentré aux joues, était assombri par un teint de bronze qui se constella dans sa vieillesse de taches fauves et noires ; son front, parfaitement beau, s’ouvrait sous deux rideaux de cheveux noirs, doux et soyeux ; son nez était despotiquement