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c’est-à-dire 3 francs 50 centimes environ ; à Séville, c’est le double. Ma place était du côté du soleil, mais cela m’importait peu ; mon billet devait me servir d’entrée seulement, car on m’attendait dans une excellente loge, et j’avais à Madrid des amis très curieux de savoir quelle figure je ferais aux premiers coups de cornes. L’affiche, au dire d’Alvarez, mon domestique espagnol, portait une nouvelle désespérante : c’est que Juan Léon et Guillen ne devaient pas tuer ce jour-là. Ils étaient absens, et des huit taureaux annoncés quatre devaient être mis à mort par le seul J. Redondo, surnommé el Chiclanero, et les quatre autres par des doublures (sobresalientes). La course devait donc être détestable, disaient les amateurs ; ils se trompaient, ce fut la plus belle de la saison, et jamais je n’en ai vu ni à Madrid, ni en Andalousie, d’aussi terrible.

Le cirque, la Plaza de Toros, est situé du côté du Prado, en dehors d’une porte de la ville qui est à Madrid, toute proportion gardée, ce qu’est à Paris l’Arc-de-Triomphe de l’Étoile ; un peu à gauche de cette porte, absolument comme notre nouvel Hippodrome. La place nommée Puerta del Sol en est moins éloignée que l’obélisque de Louqsor de la barrière de l’Étoile ; mais on ne marche guère en Espagne, et peu de curieux songent à faire à pied un pareil voyage. Dès midi, une quantité de corricoli, pareils à ceux de Naples, et d’omnibus immenses attelés de douze ou quatorze mules couvertes de grelots et de houppes de laine, stationnent sur la Puerta del Sol. Les cochers convient à grands cris les passans, et les passans, que l’on veut rançonner, injurient les cochers de toute la force de leurs poumons. A quatre heures, je montai dans un de ces véhicules, et je fus conduit avec une effrayante vitesse, à travers une foule immense, vers la porte de Alcala. Madrid, cette ville ordinairement triste et silencieuse, se réveille tout d’un coup le lundi, met ses habits de fête, et se presse tout entière dans cette longue avenue bordée de petits arbres, qui conduit à sa plus belle porte. Ces petits coucous follement bariolés, ces mules bruyantes, ces chevaux andalous à la crinière nattée, ces cavaliers qui reprennent pour ce jour-là seulement le chapeau calañese, la veste brodée, la culotte collante et la guêtre finement piquée du majo, ces mystérieuses señoras avec leurs sombres mantilles et leurs yeux étincelans, les calèches bien attelées de quelques dandies anglomanes, les cris, la poussière, le soleil mêlé à tout cela, forment, pour le voyageur nouvellement arrivé et fort ému d’avance de ce qu’il va voir, le spectacle le plus caractéristique qu’il puisse trouver dans la capitale. La barrière dépassée, on voit s’élever le grand mur extérieur du cirque ; une quantité de voitures encombrent les abords, et un détachement de cavalerie est rangé vis-à-vis l’entrée principale. La multitude pénètre dans la place rapidement, mais avec ordre, sans tumulte et sans rumeur. Les hommes se rangent avec toute la politesse espagnole pour laisser passer les femmes ; on ne se presse