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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/847

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tiennent un meeting, c’est le plus souvent dans la salle des teetotalers. Le club est associé à un journal qui est presque toujours un journal favorable au rappel, tel que le Freeman, le Pilot, le Dublin-Evening-Post. Souvent on y trouve une petite bibliothèque composée de livres élémentaires d’histoire, de sciences et d’arts mécaniques. Chaque teetotaler possède une médaille où le père Mathew est représenté administrant le serment ; au revers est l’agneau pascal avec l’inscription : In hoc signo vinces. L’exhibition de cette médaille assure au porteur un accueil fraternel dans toute société de tempérance. Dans leurs processions publiques, les teetotalers font montre de devises allégoriques assez semblables à celles en usage chez les francs-maçons, et étalent un grand luxe de bannières. On donne dans les clubs des soirées musicales, parfois de petits bals, très souvent des soirées de thé pendant lesquelles il est permis aux jeunes gens de prendre la parole en faveur de la tempérance, et les discours, qui sont presque toujours des répétitions de ceux du père Mathew ou des éloges que fait à tout moment O’Connell de la tempérance, sont accompagnés de toasts porté avec de l’eau, de la limonade, de l’eau de gingembre et autres cordiaux de la tempérance. Presque chaque société possède un corps de musiciens ; pour empêcher l’oisiveté, on pousse autant que possible à l’étude de la musique, dont le goût se répand ainsi dans les localités les plus reculées. Les airs joués de préférence sont d’anciens airs national irlandais, et celui de la Saint-Patrice a toujours le pas sur le God save the Queen. Dans les villes, chaque quartier a sa société de tempérance, et toutes rivalisent de zèle. À Dublin, il y en a même une composée d’enfans. En général, ce sont les prêtres qui sont à la tête des associations et en dirigent l’esprit. Il n’est permis d’user du vin et des autres boissons proscrites par le serment que sur ordonnance du médecin. S’il arrive qu’un teetotaler viole le serment, le prêtre peut le dénoncer du haut de la chaire, et le peuple ne manque jamais d’attribuer à une punition divine les malheurs qui pourraient lui arriver dans la suite. J’ai été à même d’apprécier l’incroyable changement opéré dans les mœurs des Irlandais ; il faut avoir assisté à leurs meetings, avoir observé l’attitude digne, le recueillement religieux avec lequel ils écoutent leurs orateurs, pour se faire une idée de la ferveur de leur croyance. Avec quel air de satisfaction ces pauvres paysans se déclaraient teetotalers, avec quel naïf contentement ils me racontaient les heureux effets de leur conversion ! Ils jouissent d’une meilleure santé ; ils peuvent travailler davantage, payer leur bail, faire même quelques économies. À chaque pas, dans mes courses, je pouvais de mes yeux constater les résultats immenses obtenus par le père Mathew. Au meeting de Tara, dont j’ai parlé, et qui réunissait plus de six cent mille personnes, en parcourant les rangs, je n’ai pu découvrir que deux