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de ce côté, et MM. les généraux de Lamoricière et Cavaignac, par un heureux combat contre les Traras, ouvrirent une voie où l’on supposait assez généralement que les efforts ultérieurs devaient se porter.

Beaucoup pensaient que le gouverneur, à son retour de France, irait débarquer à Oran même et ne ferait que toucher à Alger, pour se diriger immédiatement après vers la frontière de l’ouest. On a même prétendu que telles avaient été les intentions annoncées d’abord par M. le maréchal Bugeaud, et l’on avait pu espérer que l’épée du soldat rétrécirait et serrerait autour de l’empereur du Maroc le cercle si large qu’avait tracé la plume du négociateur ; mais, une fois arrivé au centre de nos possessions, le gouverneur, frappé par des événemens plus récens et plus prochains, laissa peu à peu sa pensée et sa volonté se retirer des grands et lointains horizons vers des faits qui semblaient plus saillans, parce qu’ils étaient plus rapprochés. L’insurrection commençait à se montrer au sud de la province d’Alger, et, si elle n’avait pas encore pénétré dans le corps de la place, elle en insultait l’enceinte. Le coup de main tenté contre notre établissement d’Aïn-Teucria était comme la lance enfoncée par bravade dans la porte de la ville. Le premier feu de colère allumé par la nouvelle du massacre de Djemmâ-Ghazaouât commençait à tomber et laissait place à la réflexion, à la liberté dans le choix des opérations. On se mit à agiter toutes ces questions insolubles que se pose sans fin la prudence, lorsqu’elle consiste moins à entourer un projet de toutes les chances possibles de réussite qu’à en découvrir et à en examiner une à une toutes les difficultés. Pouvions-nous marcher en avant sans avoir éteint derrière nous les foyers d’insurrection, qui se raviveraient et s’étendraient en proportion de notre éloignement ? Fallait-il laisser les tribus fidèles exposées aux ressentimens de celles qui s’étaient soulevées et dont l’impunité doublerait l’audace ? Étions-nous suffisamment préparés pour aller atteindre et abattre le drapeau d’Abd-el-Kader sur le territoire marocain, et au milieu des puissans montagnards qui l’abritaient derrière la masse de leur population et les difficultés de leur territoire ? Le génie triste et froid qui se complaît à énoncer les objections et à montrer les côtés embarrassans des choses dévore, comme l’antique Sphinx, ceux qui l’abordent sans avoir d’avance trouvé une réponse nette à ses interrogations, et sans être tout armés pour soutenir résolument le sens de leur réponse. Modéré peut-être par la crainte de paraître plus aventureux qu’il ne convient à sa position, M. le maréchal Bugeaud se décida à ne s’avancer vers les parties du territoire les plus directement menacées par l’émir qu’après avoir décrit du nord au sud et de l’est à l’ouest une grande courbe passant par tous les lieux où les tribus s’étaient montrées agressives ou incertaines, où il se trouvait des populations à châtier, à protéger ou à raffermir : c’était se donner pour champ de manœuvres